Face à une montée d’attaques en ligne visant à polariser l’opinion publique à moins d’un an de la prochaine élection présidentielle, la Côte d’Ivoire fait face à des débats houleux autour de questions sociétales sensibles, comme l’homosexualité ou l’influence des communautés étrangères. Malgré les efforts des autorités ivoiriennes pour endiguer ces manipulations numériques, le phénomène persiste et s’étend, touchant désormais la communauté libanaise du pays.
Une première salve d’attaques en ligne visant les “woubis”
Fin août, des comptes pro-AES et pro-russes ont eu un effet amplificateur important, si ce n’est déclencheur, sur l’émergence de discussions en ligne autour des homosexuels, les “woubis” en nouchi, en Côte d’Ivoire. Ces comptes avaient poussé une discussion lancée sur la question par l’influenceur ivoirien Camille Makosso, qui avait suscité une forte visibilité avant que son compte soit suspendu par TikTok. Les pro-AES désignent alors la Côte d’Ivoire comme le “woubiland”, et accusent les autorités du pays de favoriser les comportements homosexuels dans la société. Le sujet est ensuite récupéré par les Ivoiriens sur les réseaux sociaux.
Cette séquence est un précédent notable : des débats d’opinion publique ivoirienne ont été en grande partie initiés par des comptes malveillants adeptes des fake news, souvent étrangers, qui se sont servis de sujets sociétaux totems dans l’objectif de déstabiliser le pays. Les discussions en ligne ont rapidement dépassé le cadre des réseaux sociaux pour donner lieu à des actions hors ligne : une manifestation a été organisée et plusieurs agressions physiques ont été relevées.
La Côte d’Ivoire, particulièrement visée par les tentatives de déstabilisation digitale
Une seconde séquence du même acabit, dont l’impact n’est – pour le moment du moins – pas aussi important que celle sur les “woubis”, qui illustre la capacité des comptes pro-russe et pro-AES à s’ingérer dans les débats publics nationaux ivoiriens, voire à les lancer. Cette dynamique pourrait s’avérer dangereuse à quelques mois de l’élection présidentielle ivoirienne, alors que la Côte d’Ivoire semble être une cible croissante des attaques en ligne venant des pays voisins.
Si les autorités ivoiriennes semblent avoir saisi l’ampleur du danger et tentent d’y faire face à travers la mise en place de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, chargée de veiller à la cybersécurité du pays, et le lancement d’une campagne “En ligne tous responsables” qui vise à sensibiliser les populations contre les fausses informations, la même mélodie semble se jouer depuis quelques jours autour d’une nouvelle cible : la communauté libanaise de Côte d’Ivoire.
La communauté libanaise en Côte d’Ivoire, nouvelle cible des pro-AES
D’autres pro-AES conspuent les positions économiques et l’influence de la communauté libanaise dans le pays. L’avatar favorable aux juntes de l’AES et adepte des fake news @DelphineSankara met en garde les Ivoiriens, en mentionnant des comptes ivoiriens influents pour s’assurer que son tweet sera lu par sa cible : “Un beau matin, vous allez vous réveiller sur votre Terre Ancestrale qui appartient désormais aux Étrangers”. Dans un post comptabilisant près de 500 000 vues, @lafriqueauxafricainns lance sur TikTok une ”alerte urgente” au sujet des réfugiés libanais qui arrivent en Côte d’Ivoire. Reprenant le pro-AES @bagouel11, le Burkinabè @LassaneZalle1 affirme que les Ivoiriens sont responsables de la situation et ajoute “bientôt les Libanais vont se charger de vous”.
Dans une vidéo largement reprise au-delà de son compte, notamment par l’Ivoirienne @aicha1212a, le Malien “Général Chico” tempête contre l’interdiction faite aux femmes africaines d’accoucher sur le sol libanais. Un sujet qui a fait réagir dans un autre pays, en pleine période électorale lui aussi : l’opposant sénégalais Tahirou Sarr promet d’interdire aux Libanaises d’accoucher au Sénégal.
Deux semaines après ses premiers posts, l’influent I. Maiga jubile, et pour cause : le sujet est passé des sphères de propagande des juntes de l’Alliance des Etats du Sahel aux sphères ivoiriennes en ligne.
Un sujet qui s’immisce dans les conversations en ligne des Ivoiriens
En quelques jours, la discussion sur la place de la communauté libanaise s’exporte au-delà de ces cercles militants pour être discutée par des Ivoiriens, avec un pic le week-end du 2 et 3 novembre, renforcée par une rumeur faisant état d’une “arrivée massive de Libanais en Côte d’Ivoire”.
La situation des Ivoiriens noirs au Liban attise également la colère de ces derniers, de même que le “laisser-aller” des autorités ivoiriennes vis-à-vis des Libanais qui profiteraient en retour des largesses du pays. L’Ivoirien @choupapyziza, qui avait été prolixe pour dénoncer l’homosexualité en Côte d’Ivoire, s’emporte contre les Libanais présents dans le pays : “C’est à nous, les Noirs qui vous avons accueillis, que vous faites du mal toujours (…) il faut voir comment vous maltraitez nos sœurs chez vous au Liban” – une vidéo vue plus de 660 000 fois sur son compte TikTok, et 57 000 fois sur le compte X d’un Camerounais coutumier des attaques contre les Libanais à Abidjan. L’opposant ivoirien Hamed Koffi Zarour, du PDCI-RDA, dénonce “le manque de respect” des Libanais envers les Ivoiriens tandis que le pro-Gbagbo Zigui lance une forte charge contre la communauté et sous-entend que seul L. Gbagbo “peut faire changer tout cela”.
Plus mesuré, l’influent @gnral.ose.lorigin revendique les qualités d’accueil des Ivoiriens tout en les mettant en garde contre “l’ivoirité” et le racisme qui en découle. Il appelle les influenceurs libanais à réagir pour dénoncer les violences que font subir leurs compatriotes aux Africains. Un souhait partagé par l’Ivoirien @blackstonevevo, libanais par son père, qui affirme que “la Côte d’Ivoire a peur que cette vague d’immigrés envoie des personnes de mauvaise intention ici”. D’autres, comme Big Dahou Officiel, relaient une archive vidéo de feu F. Houphouët-Boigny qui s’exprime en 1985 au sujet de la communauté libanaise et de son impact globalement positif pour le pays.
Le compte ivoirien @le_brouteur (330K abonnés) s’essaye pour sa part à une touche d’humour, peu appréciée dans les commentaires et les citations ; certains dénonçant une “fixette” sur un “sujet inventé par les soûlards des maquis, certains xénophobes et des gens qui dénigrent la Côte d’Ivoire”.
La déclaration de l’influent C. Makosso, qui affirme à Life Magazine qu’il “préfère un Libanais qui participe à l’économie de [son] pays qu’un Ivoirien paresseux qui passe sa vie sur TikTok” et défend l’immigration des Libanais – preuve selon lui de la “stabilité de la Côte d’Ivoire” -, est dénoncée sur TikTok par @mohaaa__26. Celui-ci le soupçonne d’avoir reçu de l’argent pour soutenir les Libanais : “je sais pas tu as reçu combien mais il faut me stopper ça !”.
@89momo1, favorable au Président, dénonce les manœuvres de l’opposition qu’il accuse de “dramatiser” le sujet, après avoir manipulé le sujet des “woubis”, pour “créer un conflit ethnique en Côte d’Ivoire” et “créer la zizanie” en pleine période d’enrôlement des citoyens sur les listes électorales. Dans la même veine, l’administrateur de la page Facebook Lc communication bis 2 dénonce l’implication des militants de G. Soro et L. Gbagbo pour faire monter la polémique sur la communauté libanaise, après avoir été actifs dans l’affaire des woubis, espérant susciter la colère contre A. Ouattara.
Un buzz en chassant un autre sur les réseaux sociaux, la récente “affaire Balthasar” – du nom du Directeur général de l’Agence nationale d’investigation financière de Guinée-Équatoriale qui aurait eu des relations sexuelles, vidéos à l’appui, avec plusieurs centaines de femmes influentes dans le pays – pourrait bien calmer le débat sur les Libanais en Côte d’Ivoire. Particulièrement impliqué sur les sujets critiques envers la Côte d’Ivoire et son Président A. Ouattara, @SackoHamzaof est le créateur du compte X @silboyofficiell, “Histoires d’Afrique”, lui aussi actif sur le cas des Libanais en Côte d’Ivoire. Ce Malien pro-AES entend lutter pour maintenir ce sujet dans les discussions ivoiriennes : « restez concentrés sur l’affaire des Libanais dans votre pays. Les affaires des Balthazar, c’est un bad buzz inutile. ».
Le 21 octobre, la République du Congo a lancé la campagne d’influence digitale #VisitCongo, également focalisée autour du hashtag #LandOfOpportunities, une opération d’envergure pour promouvoir le patrimoine touristique du pays, alors que se tenait le Sommet des 3 Bassins du 26 au 28 octobre à Brazzaville.
Une trentaine d’influenceurs spécialisés en tourisme issus de pays africains, francophones pour la plupart, et de France ont été invités par les autorités congolaises à visiter – et évidemment promouvoir sur les réseaux sociaux – des sites naturels au potentiel touristique fort pour le pays.
Une hausse de 2 040% du nombre d’impressions par post sur Instagram, de plus de 12 500% du nombre de likes par post sur Instagram et quasi 1000% d’augmentation du nombre de likes par post sur TikTok : de prime abord, la campagne est un succès. Mais à y regarder de plus près, elle pâtit de plusieurs écueils.
Pour son analyse, Afriques Connectées a collecté, grâce à son partenaire Visibrain – outil de veille des réseaux sociaux, 327 posts Instagram (6,9 millions d’impressions), 75 TikToks (834K vues) et 1 363 tweets (7,5 millions d’impressions) du 11 au 31 octobre.
Une opération de visibilité réussie…
D’un point de vue quantitatif, la campagne est une réussite. En 10 jours, elle a généré 84 000 likes sur Instagram et 87 000 sur TikTok, et enregistré près de 6 millions d’impressions sur Instagram quand le pays bénéficiait de 255 000 impressions dans les 10 jours qui l’ont précédée. Les influenceurs se sont attelés à valoriser les paysages et la culture du pays auprès d’audiences particulièrement ouvertes à ces thématiques. Le compte Instagram @visitrepublicofcongo a été spécialement créé pour centraliser les contenus produits dans le cadre de la campagne, et capter les audiences des influenceurs : il est parvenu à engranger plus de 4 000 abonnés durant l’opération, une réussite pour le lancement d’un compte de ce type en quelques jours.
Alors que la campagne a été principalement francophone, avec des créateurs de contenus venus entre autres de Côte d’Ivoire, du Sénégal, du Gabon ou encore de France, c’est le post de l’influenceuse anglophone Priscilla Ajoke Ojo qui est le plus liké.
Originaire du Nigéria, @its.priscy est aussi celle qui détient la communauté la plus importante parmi la trentaine d’influenceurs mobilisés : 2,4 millions de followers.
Malgré ses 4,4 millions de followers, le compte média anglophone @nwe, lui, ne parvient pas à susciter d’engagement important sur ses posts relatifs à l’opération malgré sa communauté habituellement engagée.
Très actif et proche de ses fans, Prince Edja est l’influenceur le plus engageant sur TikTok. Sa vidéo sur le fleuve Congo, qui sépare Brazzaville de Kinshasa, a généré près de 340 000 vues, 27 000 likes et 1 300 commentaires. La majesté et la dangerosité du fleuve Congo font réagir sa communauté.
Les publications valorisant le Pont du 15 août de Brazzaville génèrent de nombreuses discussions, notamment des comparaisons avec le pont Alassane Ouattara à Abidjan dans les commentaires des posts de Prince Edja qui est par ailleurs ambassadeur touristique de la Côte d’Ivoire.
La culture locale, notamment le phénomène de la Sapologie, donne lieu à de nombreuses réactions positives.
L’influenceur et humoriste ivoirien Stéphane Sacré a également enregistré de nombreuses vues, près de 230 000 lorsqu’il filme son arrivée dans sa chambre d’hôtel à Brazzaville. Ses abonnés saluent la beauté de la ville bien que la plupart d’entre eux se focalisent davantage sur la personnalité de l’influenceur.
Ce constat est transposable aux commentaires sous les posts de Flora Coquerel, de Sophie Tankou ou de Prince Edja : la majeure partie est consacrée à leurs personnes propres, avant la promotion du pays pour laquelle ils sont missionnés.
…qui n’a pas été exempte de critiques
Sur TikTok d’abord, la séquence a donné lieu à un débat houleux quant à la différence de traitement accordé aux créateurs de contenus congolais par rapport à leurs homologues étrangers sollicités pour la campagne.
Les influenceurs nationaux auraient ainsi été rémunérés à hauteur de 250 000 FCFA pour leur participation au Sommet des 3 Bassins, tandis que les influenceurs étrangers auraient touché 10 millions pour leur valorisation des richesses du pays.
Les créateurs de contenus du Congo n’auraient par ailleurs été sollicités qu’à quelques jours de l’ouverture du Sommet, contrairement à leurs homologues de l’étranger dont la venue a été préparée sur plusieurs semaines.
Cette fronde est principalement portée par les influenceurs congolais, qui dénoncent une injustice et un manque de considération de la part de leurs autorités, et renforcée par des internautes nationaux qui estiment que le gouvernement est plus enclin à valoriser les étrangers que ses compatriotes.
En trame de fond, un véritable risque d’image pour le pays
Bien que Twitter n’ait pas été un réseau fortement investi par les influenceurs pour déployer la campagne, le réseau a été un vecteur de critiques importantes.
Ces réactions à l’opération déployée sur Instagram et TikTok mettent l’accent sur la situation du pays et de ses populations, des critiques politiques fortement reprises et relançant un hashtag très utilisé au Congo : #ChezMoiAuCongo. Ce hashtag est habituellement utilisé par les Congolais pour mettre en évidence avec ironie des situations “rocambolesques”, des dysfonctionnements propres au pays, avec en lien une critique non-voilée du monde politique national.
Twitter, dont l’ADN repose sur la controverse et le débat, devient le canal de critiques principal pour alerter l’opinion publique internationale sur la réalité du pays, éloignée des éléments de communication de la campagne, accusée d’être une opération de “green washing”.
Certains, à l’instar de Paola Audrey, dénoncent une opération de propagande politique en faveur du chef de l’État.
Les sujets de la préemption des ressources du pays et de la corruption sont également un axe de discours fort parmi les critiques, deux thématiques relancées à l’aune de la campagne.
L’absence de reconnaissance des talents nationaux par les autorités congolaises à l’origine de la campagne est, comme sur TikTok, un discours populaire sur Twitter.
Enfin, des critiques ont émergé sur les valeurs de la promotrice de la campagne, la communicante @Scheenadonia, qui a déçu certains de ses soutiens estimant qu’elle a trahi ses valeurs et combats passés en ayant accepté de travailler avec les autorités congolaises.
Les créateurs de contenus congolais sont également critiqués sur ce point.
En résumé
Si la campagne #VisitCongo est une réussite en termes de visibilité, elle présente toutefois quelques impasses.
Pas suffisamment inclusive avec les influenceurs nationaux, elle a donné lieu à un flot de mécontentement nuisible à la réputation du pays. Deuxième écueil : ne pas avoir investi Twitter, laissant de facto le champ libre à un discours critique sans contre-argument.
Enfin, la question de l’impact de la campagne reste entière. Que restera-t-il de celle-ci dans les mois à venir ? Le compte @VisitRepublicOfCongo continuera-t-il à être alimenté sans les contenus des influenceurs internationaux et sans avoir intégré les créateurs congolais ? Ajoutons également que le choix des hashtags semble hasardeux, entre confusion avec la République Démocratique du Congo voisine pour le hashtag #VisitCongo et manque d’identification avec le hashtag très générique #LandOfOpportunities.
Le 27 février, le Président Emmanuel Macron présentait sa nouvelle stratégie pour l’Afrique, à la veille de sa tournée en Afrique centrale et de sa participation au One Planet Summit au Gabon. Le discours du chef d’État autour de ce “nouveau partenariat Afrique-France” a été reçu avec un écho important sur les réseaux sociaux d’Afrique francophone. Loin des espoirs français d’apaiser les relations entre la France et les citoyens africains, les mots d’Emmanuel Macron ont rencontré en ligne une farouche critique, portée par des influenceurs engagés au long court contre l’influence française sur le continent.
Afriques Connectées a collecté, grâce à son partenaire Visibrain – outil de veille des réseaux sociaux, et analysé plus de 40 000 tweets et 3 200 posts Facebook publics, ainsi qu’une dizaine de vidéos TikTok, tous publiés depuis la veille du discours du Président français.
#FranceDégage : la stratégie militaire de la France âprement décriée
La présence militaire française sur le continent constitue la pierre angulaire des critiques des internautes africains, notamment sur Facebook, où de nombreuses vidéos d’analyses sont publiées et largement commentées et partagées :
Les journalistes et experts français évoquent l’insistance des militaires opposés à la fermeture des bases françaises comme raison de leur maintien sur le continent.
Sur Twitter, le mot d’ordre “France dégage” est particulièrement prégnant dans les commentaires d’internautes qui entourent le discours du chef d’État français.
La fin de la Françafrique passée au tamis du double langage diplomatique français ?
Le double langage diplomatique français suscite crispation et exaspération parmi les internautes. Une vidéo TikTok ayant généré plus de 230 000 vues affirme que le discours d’Emmanuel Macron sur la défense des intérêts français est “clair” mais repose sur des “contradictions” entre la pensée du Président et la méthode qu’il cherche à employer.
Le soutien français en avril 2021 à un “coup d’Etat constitutionnel” au Tchad est un élément très relayé pour fustiger le grand écart diplomatique de la France et sa volonté de préserver son influence dans ses anciennes colonies.
L’implication de la France dans la réforme du Franc CFA, vieux serpent de mer de la lutte anti-Françafrique, est également considérée comme une énième ingérence de la France dans les politiques de ses anciennes colonies, une atteinte à la souveraineté de ses pays.
Fally Ipupa, accusé d’être un agent de l’instrumentalisation française
Au-delà des réactions au discours du Président, la colère des internautes africains s’est dirigée vers le chanteur congolais Fally Ipupa, invité par Emmanuel Macron à assister à sa prise de parole.
La critique de sa présence à l’Élysée rassemble un public anti-impérialiste vaste, derrière les propos de l’influenceur panafricaniste Kemi Seba, lequel dénonce la volonté française d’instrumentaliser les artistes africains appréciés de la jeunesse pour mener son entreprise néocoloniale.
Les réactions très vives à l’encontre du chanteur se sont transposées des réseaux sociaux – son tweet est le 2ème le plus relayé et commenté après celui de Kemi Seba – à la rue, puisque son domicile à été saccagé à Kinshasa quelques heures après la publication des photos le montrant aux côtés du Président français.
À travers Fally Ipupa, c’est la posture de la France et sa supposée complaisance à l’égard du Rwanda de Paul Kagamé accusé d’être complice des forces rebelles du M23 sévissant à l’est du Congo, qui est attaquée.
Sur Twitter, les comptes congolais ont été particulièrement actifs pour commenter le discours puis la tournée du Président français en Afrique : c’est le deuxième pays ayant le plus commenté le discours (4% des comptes ), après la France (19%), et devant le Sénégal (1,5%). Sur Facebook, ce sont le Mali (7,5% des posts) et le Sénégal (7,3%) qui se distinguent spécialement.
Un soutien très minoritaire
À contrepied de l’opinion critique majoritairement émise à l’encontre du discours du Président Macron, quelques internautes défendent la position de la France et s’opposer aux critiques qui lui sont adressées. Ces derniers dénoncent “des dirigeants médiocres sans vision percutante”, qui seraient les véritables responsables des maux attribués à l’ancien colon.
Côté français, le discours d’Emmanuel Macron semble n’avoir été soutenu qu’à la marge par des comptes politiques ou de la société civile. Les ambassadeurs français Sylvain Itté et Anne-Sophie Avé, pourtant prompts à monter au front digital pour défendre l’image de la France contre ses détracteurs depuis que le Quai d’Orsay a mis en place une stratégie numérique plus offensive, sont pour leur part restés discrets.
En son nom, le Président a centralisé toutes les critiques, des critiques anciennes et persistantes adressées à la France sur son approche africaine.
Ainsi, à la “nouvelle stratégie africaine de la France” sont opposés les mêmes arguments qui drainent la lutte contre la Françafrique sur les réseaux sociaux et qui semblent nourrir la peur presque paranoïaque des autorités françaises vis-à-vis de la montée d’un “sentiment anti-français” qui serait manipulée en ligne par des agents extérieurs.
Ce contre-discours critique émerge de façon unanime et efficace, porté par des comptes activistes engagés et influents à l’instar des incontournables Kemi Seba et Nathalie Yamb, mais aussi des comptes plus confidentiels comme @FarafinaW ou @Amir_Nourdine, qui n’enregistrent pas moins de visibilité pour autant. La portée et la lisibilité du discours d’Emmanuel Macron en sortent presque réduites à néant, tant il n’a unanimement pas convaincu des internautes africains pas dupes vis-à-vis des discours diplomatiques français sur l’Afrique, la parole diplomatique demeurant bloquée au poids de l’histoire, à l’épreuve des actes présents.
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Un défilé Chanel à Dakar, voilà de quoi créer la surprise et enflammer les réseaux sociaux d’Afrique de l’Ouest, peu coutumiers de ce type d’événement sur le continent. La maison de luxe a surpris en organisant, début décembre, son défilé Métiers d’art dans l’enceinte de l’ancien palais de justice de la capitale sénégalaise, bâtiment désaffecté qui accueille notamment les biennales d’art de Dakar.
Avec cet événement, Chanel devient la première marque de luxe à dévoiler une collection en Afrique subsaharienne. Les stars internationales habituées des défilés, à l’instar de Naomi Campbell, Pharrell Williams et Rossy de Palma, y ont côtoyé de nombreux artistes et créateurs du Sénégal, comme le modèle et photographe Malick Bodian, le rappeur Nix ou encore l’actrice Rokhaya Niang.
Afriques Connectées revient sur l’événement vu à travers les réseaux sociaux.
Un succès explosif sur Instagram
Secret bien gardé et communication millimétrée, c’est tout d’abord la présence de l’égérie mondiale Pharrell Williams, posant dans les rues de Dakar et au contact de jeunes créateurs du pays, qui a enflammé les stories Instagram et suscité la curiosité des internautes sénégalais puis africains.
Avec le soutien de notre partenaire, l’outil de veille des réseaux sociaux Visibrain, Afriques Connectées a collecté les posts Instagram et TikTok autour du défilé, ces deux réseaux sociaux ayant été les principaux utilisés pour couvrir l’événement.
Ce sont ainsi plus de 215 publications Instagram, ayant suscité près de 900 millions d’impressions et plus de 500 000 likes (dont près de 350 000 sur le compte Instagram Chanel) en l’espace de 4 jours, qui reviennent sur cet événement, dont un pic de publications et de visibilité le jeudi 8 décembre pour la diffusion du défilé. Près de 70 % des posts et commentaires ont été publiés en anglais, loin devant le français (15 %), pourtant langue nationale du Sénégal. Sur TikTok, les quelques 30 publications que nous avons collectées cumulent plus de 750 000 vues et 70 000 likes.
Le teasing du défilé, posté par Chanel et visionné plus de 3 millions de fois, est la vidéo Instagram la plus likée de la séquence avec 120 000 likes à l’heure où nous écrivons ces lignes. Il s’agit de la 3ème vidéo la plus likée du compte Instagram de Chanel ce semestre, juste derrière le témoignage de l’égérie Jennie à l’issue du défilé de Prêt-à-Porter été-printemps 2023 et la vidéo des coulisses de ce défilé, toutes deux faisant intervenir des stars internationales (Kristen Stewart, Naomi Campbell, Jennie…), contrairement à la vidéo du défilé dakarois.
Sur TikTok, c’est le post du magazine Elle Japon qui comptabilise le plus de vues, avec plus de 410 000 visionnages du TikTok de l’actrice Nana Komatsu s’exprimant devant l’ancien palais de justice.
Premier défilé en Afrique subsaharienne, une fierté nationale exaltée sur les réseaux sociaux
Le drapeau sénégalais figure en bonne place parmi les emojis les plus utilisés dans les posts Instagram. La maison de luxe a par ailleurs confié la réalisation d’un documentaire autour du défilé aux élèves de l’école de cinéma Kourtrajmé, fondée par le réalisateur français né au Mali, Ladj Ly, et dirigée à Dakar par le réalisateur franco-malien Toumani Sangaré.
Chanel a ainsi su ancrer son défilé au cœur des talents africains en mobilisant les savoir-faire des artisans et créateurs du continent et en mobilisant la scène culturelle locale pour donner du corps et de la crédibilité à son événement, lui offrant un accueil positif, à Dakar et sur les réseaux sociaux, loin d’éventuelles suspicions d’opportunisme vis-à-vis du continent.
L’événement est par ailleurs analysé comme le signe d’un intérêt du secteur de la mode pour l’Afrique de l’Ouest dans ce TikTok, laissant présager des opportunités d’investissement pour le futur.
Face à un tel succès, ce défilé ouvrira-t-il la porte à d’autres événements luxe d’envergure en Afrique subsaharienne, offrant ainsi une reconnaissance légitime à un continent dont la création artistique et culturelle est mondialement saluée ?
Retrouvez toutes les études et analyses d’Afriques Connectées :
Un Président à la communication millimétrée. Une stratégie de rayonnement international savamment pensée. Mais sur les réseaux sociaux monte une colère qui se structure en campagne de dénigrement de l’image du pays. Hors de tout contrôle, une parole contestataire émerge en ligne depuis quelques semaines contre des actions présumées et des jeux d’influence du Rwanda chez son voisin congolais. Retour sur ce caillou dans la chaussure vernie de Kigali.
Rwanda : une nouvelle image attractive
Sous l’impulsion de son Président, le Rwanda cherche à imposer depuis plusieurs années l’image d’un pays dynamique, fer de lance en matière de technologie, une “start-up nation” qui attire les investisseurs internationaux. Paul Kagame, dont l’image est aussi sérieuse qu’inflexible, demeure peu inquiété par la communauté internationale ou les médias sur sa gouvernance jugée autoritaire et les violations des droits humains imputées aux autorités, du haut de ses 22 ans de mandature.
Le soft power rwandais est protéiforme. À la tête du Commonwealth et de la Francophonie en la personne de Louise Mushikiwabo, le Rwanda multiplie les opérations d’influence à l’international.
La “marque Rwanda” en est un des leviers principaux : le pays promeut une image haut de gamme, au service de la protection de la nature et notamment des gorilles, à travers sa stratégie touristique “Visit Rwanda”. Dans le cadre de cette campagne, Kigali a noué des partenariats de sponsoring avec de grands clubs de football européen comme le PSG et Arsenal. Les partenariats entre les clubs et le Rwanda visent à mettre en avant les atouts du pays en matière d’économie, de tourisme et de sécurité. Le contrat avec le PSG a notamment connu un lancement en grande pompe appuyé par la présence de nombreuses personnalités politico-médiatiques franco-rwandaises. Le Rwanda vise par ailleurs à être considéré comme le hub technologique d’Afrique, fort d’un environnement des affaires favorable et de mesures propices à l’éclosion de nombreuses start-ups.
Mais le Nation branding du pays aux mille collines fait face depuis plusieurs mois à un mouvement de dénigrement venu d’internautes congolais qui entendent mettre à mal son image à l’international.
À la stratégie #VisitRwanda s’oppose la campagne spontanée #RwandaIsKilling
Si Paul Kagame orchestre d’une main de maître sa communication et le soft power de son pays, il est une chose qui lui est impossible de maîtriser : la parole sur les réseaux sociaux, d’autant plus hors des frontières nationales.
Depuis plusieurs semaines, une crise diplomatique gronde entre le Rwanda et la République démocratique du Congo, qui s’inscrit dans une histoire longue de conflits entre les deux pays. Les autorités congolaises accusent leur voisin de soutenir le M23, mouvement rebelle qui a repris de l’activité dans l’Est du pays, ce dont se défend Kigali. Les tensions montent des deux côtés de la frontière. Le 29 mai, le Président sénégalais Macky Sall, Président en exercice de l’Union africaine, appelle les deux pays au calme dans un tweet posté sur son compte.
Je suis gravement préoccupé par la montée de la tension entre le Rwanda et la RDC.J’appelle les deux pays au calme et au dialogue pour la résolution pacifique de la crise avec le soutien des mécanismes régionaux et de l’Union Africaine.
Mais si les deux pays déroulent leur posture respective par prises de parole médiatiques et communiqués interposés, une seule vision de la situation émerge sur les réseaux sociaux.
Plus de 360 000 tweets ont été émis sur les relations entre Kigali et Kinshasa entre le 29 mai et le 28 juin, dont 117 000 contiennent le hashtag très univoque #RwandaIsKilling. Le sujet a connu un pic de visibilité les 14 et 15 juin (30 000 et 13 500 tweets/jour), journées de mobilisation digitale et physique de nombreux Congolais pour faire part de leurs inquiétudes et revendications.
Quiconque a parcouru les commentaires sous les derniers tweets du compte du Paris Saint-Germain a pu s’en rendre compte : le club de football français est systématiquement ciblé par des tweets d’internautes congolais l’accusant de soutenir les exactions du régime rwandais. Tous contiennent le même message, accompagné de visuels explicits : #RwandaIsKilling, #DontVisitRwanda. Chaque publication du club reçoit ainsi son lot de réponses véhémentes.
La campagne #RwandaIsKilling a émergé de façon coordonnée, déployée spontanément par une kyrielle de comptes authentiques souhaitant défendre leur cause. Ces comptes entreprennent un activisme digital qui s’apparente à une véritable campagne de terrain, portés par la volonté d’attirer l’attention sur leurs revendications, en s’attaquant directement et systématiquement aux canaux de communication des influents partenaires de visibilité du Rwanda.
L’objectif de ce modus operandi est double pour ces e-militants : alerter l’opinion publique internationale et mobiliser en vue de faire pression sur les partenaires du Rwanda pour mettre à mal ces contrats de sponsoring. Le tout pour affaiblir son soft power et susciter une réaction internationale ou du Rwanda lui-même.
Un détournement des codes
Parmi les éléments les plus relayés, des visuels détournant subtilement et astucieusement les principaux symboles de la campagne nationale “Visit Rwanda”. Sa charte graphique est récupérée, ses messages détournés, ses ambassadeurs sont, eux, interpellés avec insistance. Les visuels sont léchés, donnant à croire à une campagne de communication officielle et provoquant une confusion avec les vrais supports diffusés par le Rwanda et ses partenaires. La campagne entretient volontairement le doute, contrairement à d’autres mobilisations digitales sur le continent, comme #JeSuisBeni ou #CongoIsBleeding, l’opération #RwandaIsKilling ne diffuse aucune photo d’exactions, de victimes. Elle joue avec les codes du marketing pour mieux faire passer son message, s’épargnant du même coup une possible modération de la part des plateformes de réseaux sociaux pour contenu violent.
Reprenant et détournant l’ensemble des codes graphiques des images produites par les partenaires, les contenus circulent largement dans les communautés de fans très engagées sur les réseaux sociaux, elles qui sont de vraies parties prenantes de la réputation en ligne et hors ligne de leur club.
Un autre narratif avec lequel Kigali devra composer
Bien que cette campagne de subvertising digital n’ait pas réussi à mettre un terme aux partenariats de visibilité majeurs du pays – mais était-ce réellement son but ou s’agissait-il davantage de soulever la situation aux yeux du monde ? – elle constitue une véritable épine dans le pied de la “marque Rwanda”.
La force de cette opération de sape de l’image du Rwanda est qu’elle ne dépend désormais que très peu de l’actualité. Depuis son lancement en réaction à des soubresauts dans les relations déjà tendues entre les deux pays, elle agit comme un signal faible, une lame de fond dans les conversations sur les réseaux sociaux.
Atemporelle, cette campagne est également durable puisqu’elle se nourrit des éléments de soft power déployés par le Rwanda. Tout prochain partenariat de visibilité sera ainsi détourné à l’envi par ces activistes dont les mécanismes d’alerte et d’interpellation élargiront la visibilité à de nouvelles audiences, voire à l’attention médiatique – un risque d’image important pour Kigali.
Depuis la fin de l’année 2020 une évolution majeure sur les réseaux sociaux s’opère en Afrique : un nombre important de campagnes de mobilisation y ont été portées par les sociétés civiles africaines ; des mobilisations digitales d’une ampleur sans précédent.
Au Sénégal récemment (#FreeSenegal), au Nigéria (#EndSARS), en République Démocratique du Congo (#CongoIsBleeding) ou encore au Cameroun (#EndAnglophoneCrisis), ont émergé des mouvements de contestation lancés par des citoyens, souvent anonymes, qui ont saisi l’opportunité offerte par les réseaux sociaux pour mettre la pression sur leurs autorités, en alertant notamment l’opinion internationale.
Source d’information brute, canal de communication, espace de mobilisation ; les réseaux sociaux ont revêtu plusieurs rôles majeurs pour les internautes présents dans ces pays ou issus des diasporas. Twitter a été la plateforme privilégiée par les internautes en raison de ses capacités de viralité mais aussi les possibilités qu’elle offre pour toucher rapidement experts, journalistes, personnalités médiatiques et institutions internationales.
Afriques Connectées analyse les leviers d’activation et conditions de réussite de ces mobilisations en ligne majeures sur le continent.
1/ Leviers des mobilisations
Sans minorer les rôles qu’ont pu jouer Facebook et Instagram, Twitter est le réseau social qui, en plus d’avoir été privilégié pour le lancement des mobilisations, a permis à ces mobilisations de prendre une telle ampleur.
Ce constat se justifie par plusieurs facteurs. D’abord, la place prépondérante du hashtag dans la structuration des messages et la circulation de l’information sur Twitter fait de ce dernier un canal privilégié pour faire naître un mouvement et faire émerger des tendances. La possibilité d’observer en temps réel les tendances de conversation (les “Trending Topics”) fait de Twitter un réseau de premier choix pour faire voir et être vu.
Twitter est également plus ouvert en termes de diffusion et de relais d’information, au contraire de Facebook qui est sur un modèle de cercles semi privé / semi public. Le réseau social permet à tout un chacun d’échanger avec n’importe quel autre utilisateur sans restriction (hors comptes privés). Cette possibilité est d’autant plus intéressante dans le cas des mobilisations citoyennes que Twitter est l’un des réseaux sociaux regroupant le plus d’institutions, d’ONG, de médias, de journalistes et d’experts et ce à l’échelle planétaire.
1.1/ Internationalisation de la revendication
La capacité à mobiliser par-delà les frontières nationales est cruciale pour un mouvement digital car c’est via cette internationalisation de sa lutte qu’il peut le plus efficacement faire pression sur son gouvernement. Dès lors que les médias internationaux s’emparent d’un sujet critique pour un pays, les autorités de ce dernier n’ont plus guère le choix que de réagir, ou a minima d’afficher une prise en considération de la revendication portée par la mobilisation en ligne.
Contourner la censure d’Etat grâce aux réseaux sociaux
Restreindre la parole citoyenne au sein même de ses frontières est une stratégie qu’adoptent certains pays, en Afrique comme ailleurs. Les médias, en cela qu’ils sont des entités privées soumises à des autorisations de l’autorité de régulation ou contraintes par des lois restrictives, peuvent être rapidement censurés par les autorités publiques. C’est là qu’interviennent les réseaux sociaux. En portant la lutte sur ces espaces, les internautes ont conscience qu’ils sont en mesure de toucher des journalistes et médias internationaux, qui pourront faire entendre leur voix au-delà de leurs frontières nationales, sans censure de la part de leurs autorités.
Sous couvert de préserver la sécurité nationale, ou en prétextant des travaux sur les câbles sous-marins, plusieurs Etats africains tentent régulièrement d’empêcher l’accès à Internet ou à certains réseaux sociaux et applications de messagerie (WhatsApp en tête), notamment dans le cas d’élections présidentielles, quand ils n’essaient pas de réduire les libertés d’expression en ligne via un arsenal législatif. Le cas récent de la coupure d’Internet les quelques jours autour de l’élection présidentielle au Congo en est un exemple.
La question de la censure est ici cruciale : contrairement aux médias, Internet est plus difficile à restreindre totalement, notamment du fait de l’existence d’outils comme les VPN qui permettent de contourner les restrictions d’accès, et permet ainsi aux populations d’avoir accès à une audience internationale pour leurs revendications nationales.
Le soutien et la mobilisation des diasporas africaines sont aussi très importantes, souvent composées de profils influents, experts et connectés, les comptes des citoyens de la diaspora possèdent généralement des audiences larges, permettant de s’étendre et de créer des liens entre des followers de plusieurs pays.
L’engagement des personnalités à audience internationale : un levier crucial
L’un des leviers les plus efficaces pour faire émerger une mobilisation en ligne s’avère être le relais des revendications et de la mobilisation par des stars (issues du monde de la culture ou du sport en tête).
La mobilisation des stars nigérianes avec une audience mondiale et dans un second temps les stars internationales a permis à la mobilisation #EndSARS de développer une visibilité considérable, en dehors des frontières nationales et même continentales. Il en a été de même pour la mobilisation #FreeSenegal.
Le rôle des stars de l’afrobeat au Nigéria comme Davido et Wizkid a été prépondérant pour élargir mais aussi crédibiliser la mobilisation, via le relais des messages mais aussi des vidéos live de leur présence aux manifestations. Ces stars de la musique nigériane ne le sont pas qu’au niveau national, leurs notoriétés s’étendent sur tout le continent africain, mais aussi de façon non négligeable aux États-Unis, une performativité rendue possible par la langue anglaise communes aux deux pays, ce qui favorise la diffusion de leurs musiques sur les continents américain et européen, comme des messages #EndSARS publiés sur leurs comptes sociaux respectifs.
Leurs fan bases n’étant pas circonscrites au Nigéria mais bel est bien internationales, les messages #EndSARS ont donc été vus par des internautes du monde entier.
Face à une mobilisation qui prend une ampleur certaine dans la première quinzaine du mois d’octobre, un soutien de taille fait son apparition. À partir du 16 octobre, Jack Dorsey, PDF de Twitter, accentue la mise en avant du hashtag #EndSARS avec un emoji dédié sur la plateforme. Cette action va permettre à la mobilisation de gagner en crédibilité et en consistance, un levier non négligeable pour attirer l’attention notamment des médias internationaux mais aussi des leaders d’opinion et des institutions. Le sujet devient un sujet tendance sur Twitter. Ainsi mis en avant, validé, par Twitter, le hashtag a pu apparaître plus régulièrement dans les Trending Topics du réseau social qu’un hashtag normal qui n’a qu’une durée de vie limitée dans les Trending Topics par l’algorithme de Twitter.
Le 21 octobre, les revendications du mouvement #EndSARS sont devenues un phénomène mondial, en témoigne la prise de position d’Hillary Clinton qui a personnellement appelé le président nigérian à cesser de tuer les jeunes manifestants nigérians, dans un tweet qui a suscité près de 230 000 retweets.
Ce même 21 octobre, Beyoncé publie sur son compte instagram une prise de parole sur la situation au Nigéria. Prise de parole décriée par bon nombre d’internautes nigérians qui reprochent à la star mondialement connue de se tromper de combat, arguant que les manifestants, pour beaucoup issus de la classe moyenne, n’ont pas besoin de vivres mais de visibilité pour renforcer leur lutte.
Le rappeur français Youssoupha, dont la mère est d’origine sénégalaise, a été parmi les premières stars internationales à réagir à la mobilisation des Sénégalais, via un tweet sur son compte.
L’artiste sénégalais Boubou Design, véritable phénomène sur les réseaux sociaux du continent, a réagi avec un tweet présentant la réalisation de son œuvre dédiée à la contestation de ses concitoyens.
Fortement attendue par la twittosphère sénégalaise, la réaction de l’acteur français d’origine sénégalaise Omar Sy a suscité plus de 7 000 RT, bien qu’elle n’intègre pas le hashtag de la mobilisation.
Pour #FreeSenegal, l’artiste Niska a mobilisé son audience qui s’étend sur les continents africain et européen. Il avait également pris position quant à la mobilisation #CongoIsBleeding.
La mobilisation #EndAnglophoneCrisis, a elle aussi suscité des soutiens influents et internationaux, en la personne du footballeur star camerounais et connu mondialement Samuel Eto’o qui relaie une vidéo du Pape François s’exprimant sur le sujet.
Toutes ces prises de parole venant de personnalités internationales permettent d’étendre considérablement la visibilité d’une mobilisation, mais aussi de mettre davantage la pression sur les autorités, forcées de réagir.
1.2/ Support iconographique
Pierre angulaire de l’engagement sur les réseaux sociaux : le contenu visuel. Les algorithmes des réseaux sociaux favorisent en effet la diffusion et la visibilité des images et vidéos, d’autant plus en live. En plus d’être un catalyseur organique de l’engagement en ligne, le support graphique présente d’autres ressorts qui entrent en jeu dans le succès d’une mobilisation digitale.
La preuve par l’image
Les matériaux graphiques sont l’une des clés pour authentifier la nature de la situation dénoncée, à ce titre ils deviennent eux-mêmes des médiums de la mobilisation, repris et diffusés au-delà des frontières nationales, légitimés par leur nombre et par les médias internationaux. La production et la diffusion d’éléments photos et vidéos constituent une condition sine qua non de réussite d’une mobilisation en ligne.
Ainsi, pour #CongoIsBleeding la mise en avant des travaux des enfants dans les mines, des tirs d’armes à feux dont souffrent les populations civiles ont été des éléments primordiaux pour rendre compte de la situation, alerter et dénoncer. Des vidéos dont les images sont parfois insoutenables viennent choquer pour choquer les consciences dans une galaxie digitale saturée de contenus et dont le zapping est la pratique comportementale la plus répandue. La nécessité d’attirer l’attention des internautes pour faire connaître sa cause impose d’adopter ce type de stratégie de contenus. Comme souvent sur Internet, les sources de production de ces contenus sont floues, à la manière des UGC (User Generated Content), généralement anonymes et dont la date de production est fréquemment décorrélée de la mobilisation en question.
Au Nigéria comme au Sénégal, les manifestations de rue ont fait l’objet de diffusion live online. Il s’agit de mobilisations globales, occupant aussi bien l’espace géographique que l’espace digital, les deux types de mobilisations se nourrissant l’un de l’autre, dans un continuum de lutte ininterrompu.
Au Sénégal, les événements qui ont conduit à l’éclatement de la contestation ont été suivis en direct, via des vidéos diffusées en direct sur les réseaux sociaux et les lives Youtube de médias privés, qui retransmettaient également sur leur chaînes télévisées. Les manifestations, et les violences au sein de celles-ci, ont par la suite été abondamment documentées à travers des photos et vidéos postées en ligne.
Au Nigéria, le Live immersif de la DJ Switch lors des manifestations violemment réprimées à Lekki, dans lequel on voit un homme ayant reçu une balle dans la jambe autour de laquelle un garrot est fait avec le drapeau nigérian, a été partagé par plusieurs personnalités nigérianes, comme la star de l’afrobeat Davido sur son compte Instagram.
Le format live, en plus d’attester de l’authenticité de la situation mise en image, permet de plonger le spectateur au cœur de la scène dénoncée, dans un mouvement double : rendre compte vers l’extérieur et placer le témoin digital au centre, sur le terrain.
Fédérer avec de la création de contenus
Le support iconographique sert autant de preuve que de catalyseur de l’indignation, il permet de mobiliser au-delà des premiers acteurs de la lutte en donnant à voir l’objet de la contestation et en provoquant un sentiment de colère ou de compassion, propice à l’engagement.
C’est ainsi que des contenus graphiques sont créés, à dessein, pour susciter une protestation plus large et espérer gagner en nombre au sein de la mobilisation.
La mobilisation #CongoIsBleeding a fait l’objet de nombreuses créations de contenus ou bien de reprises de contenu existant offline pour le transformer en contenus fédérateurs et marqueurs des revendications. Deux types de contenu émergent et récoltent des volumes de partages très importants.
Le premier est une création de contenu vidéo dont le but est de mobiliser avec un montage vidéo résumant la situation intégrant de nombreux éléments vidéos et photos permettant de rendre concrètes les dénonciations du mouvement. Le format de la courte vidéo à la fois pédagogique et informatif est un format très efficace pour éveiller les consciences et étendre les motifs d’une cause sur les réseaux sociaux, en dégageant des taux d’engagement conséquents.
Toujours sur le registre informatif, l’incrustation de contenus texte dans des formats cards fait également partie des supports plus diffusés, notamment au Congo. Adaptées aux bandes passantes faibles mais aussi aux modes de lecture privilégiés sur les réseaux sociaux, ces “cards” permettent de diffuser efficacement des messages et de susciter des reprises entre réseaux sociaux.
Une second type de contenu, plus artistique, a également fait figure d’élément primordial de la mobilisation #CongoIsBleeding : il s’agit d’oeuvres artistiques dénonçant le travail des enfants dans les mines, largement relayées sur les réseaux sociaux. Des œuvres artistiques off line qui deviennent des éléments de viralité on line, comme cette œuvre de street art réalisée il y a déjà quelques années et qui a connu une visibilité accrue en octobre 2020, à l’occasion de la mobilisation en ligne. La création et diffusion de contenus artistiques permet d’élargir les champs de la lutte digitale en jouant sur un registre émotionnel complémentaire des contenus à dimension informative.
Au Nigeria, une photo du drapeau national maculé de sang lors d’une manifestation a été le marqueur iconographique le plus prégnant de la lutte, en complément du hashtag qui s’est mué en une sorte de logo de la mobilisation.
Le support iconographique est aussi un contenu qui transcende et fédère au-delà des frontières, symbolisant une convergence de points de vue, de luttes. Des Nigérians du mouvement #EndSARS se sont reconnus dans le mouvement #FreeSenegal et y ont apporté leur soutien. Ce type de démarche est très populaire, le support iconographique comme marqueur et partage de valeur, autour d’un même imaginaire collectif. Les succès d’#EndSARS mais aussi de #FreeSenegal ont reposé de façon non négligeable sur leur capacité à être perçues comme des mots d’ordre partagés et soutenus dans plusieurs pays du continent.
1.3/ De l’importance du mot d’ordre
La question du narratif porté par la mobilisation est primordiale. Plus il est clair et concret, plus il a de chances d’aboutir à une issue positive. Il ne s’agit pas là uniquement du hashtag et de sa construction, même si son importance est prégnante, mais de l’histoire qu’il entend raconter et de la revendication qu’il soutient. Sous plusieurs aspects, la construction d’une mobilisation digitale emprunte les codes du marketing politique. La mise au point d’un hashtag se rapproche de l’élaboration d’un slogan clair et fort, qui se veut performatif, et facilement appréhendable pour la population et compréhensible à l’international.
Objet de la lutte et cible de la revendication
Dans le cas du Nigeria, le message porté par le hashtag #EndSARS est très clair dès son apparition : il s’adresse aux autorités et leur intime de dissoudre la brigade SARS, à l’origine des violences affichées. Au fil du bras de fer avec l’Etat, le mouvement s’est peu à peu étendu à une contestation envers les violences policières, ce qui constitue de nouveau une réclamation limpide, puis envers le gouvernement et ses dérives. D’une cible très précise, une brigade de police en particulier, l’objet de la revendication a évolué par un mouvement de dé-zoom jusqu’à viser l’Etat tout entier.
#FreeSenegal est un mot d’ordre clair, en dépit de la complexité de la genèse du mouvement de contestation, compris au-delà des frontières du pays mais aussi des audiences francophones. La volonté de porter au monde un message compréhensible a notamment été l’un des sujets d’organisation de la mobilisation.
Nombreux ont été les tweets informatifs voire pédagogiques en anglais comme en français pour apporter des éléments clairs et étayés sur la situation aux internautes en besoin d’information. Un site Internet a également été lancé pour concentrer et offrir de l’information autour de la mobilisation.
De la difficulté de mobiliser sur un temps long
Le hashtag #CongoIsBleeding propose un mot d’ordre qui n’est, lui, pas performatif mais plutôt de l’ordre de l’alerte ; il apparaît ainsi comme moins frontal. Ce mot d’ordre n’a pas été construit en réaction à une situation soudaine qui aurait fait naître un mouvement de contestation, comme cela a été le cas au Sénégal comme au Nigéria. Il n’entend pas expressément faire réagir le gouvernement, mais alerter l’opinion internationale sur le sort du pays et de ses habitants, et in fine contribuer à faire évoluer la situation.
Le premier objectif est ainsi atteint par la mobilisation : la communauté internationale s’est penchée sur le cas de la RDC pendant quelques semaines, à l’aune de la revendication portée par les réseaux sociaux. Les questions relatives au secteur minier irriguent déjà régulièrement le traitement médiatique relatif à ce pays parmi les plus riches en ressources naturelles, mais c’est au cours du mois d’octobre que l’attention des médias internationaux s’est particulièrement portée sur les dérives de cette industrie et leurs conséquences sur les populations. Il ne s’agissait alors plus d’une couverture par les seuls médias spécialisés ou panafricains, mais bien par des médias internationaux généralistes, ou des pure-players qui ont pignon sur rue en matière de digital. Ce fut par exemple le cas du média digital Brut, dont le journaliste Charles Villa a réalisé un reportage immersif au cœur des mines de coltan, contribuant à rendre visible ce sujet auprès d’un public souvent étranger à ces problématiques.
Au Cameroun, la mobilisation cherche à mettre la pression sur le gouvernement camerounais pour endiguer cette crise mais la revendication est difficile à appréhender de la part d’un public externe à celle-ci. Les solutions de sortie de crise étant complexes et longues à mettre en place, le hashtag perd en puissance de frappe et ne parvient pas à s’installer dans la durée. Après un pic fin octobre, montant jusqu’à 180 000 tweets quotidiens, la mobilisation retombe à un peu moins de 10 000 tweets par semaine depuis mi-novembre. Son intensité n’a été que ponctuelle, dopée par la réussite médiatique et sur le terrain de la lutte des internautes nigérians, mais certainement aussi par le succès d’une revendication portée par les réseaux sociaux au Cameroun quelques semaines plus tôt.
Construit de la même manière, le hashtag #EndPhoneTax a connu pour sa part une fin heureuse. Né début octobre à la suite d’une décision instaurant des droits de douanes et taxes sur les téléphones et terminaux importés, il a abouti à une inflexion des autorités en l’espace d’une dizaine de jours. Après une première tentative de calmer la protestation sur le terrain sur lequel elle est la plus audible, via un thread posté le 11 octobre sur le compte Twitter de la Ministre des Postes et Télécommunications du Cameroun, le gouvernement a fini par faire marche arrière le 19 octobre, en annulant la mise en œuvre de cette taxe.
Comptabilisant environ 150 000 tweets, le hashtag a été beaucoup moins repris que son petit frère #EndAnglophoneCrisis. Mais, avec une revendication plus claire, plus aisée à satisfaire par le gouvernement, et construite en réaction à une annonce soudaine qui concentrait toute l’attention, cette mobilisation est parvenue à faire reculer le gouvernement.
1.4/ Du online au offline
Si la naissance d’un mouvement massif de contestation en ligne est relativement nouveau dans le rapport de force qu’entretiennent populations et autorités en Afrique, la puissance de la rue est, elle, toujours d’actualité et vient nourrir de façon interdépendante le pendant digital.
Organisation de la lutte en ligne
Les mobilisations en ligne les plus efficaces ont été celles dont l’organisation a été discutée par les parties prenantes engagées, la diffusion des bonnes pratiques de publication et de mobilisation. En ce sens, les twittos sénégalais se manifestent depuis plusieurs années comme l’une des communautés en ligne africaines les plus organisées, matures dans ses usages numériques. En effet, la communauté sénégalaise est l’une des plus aguerries, structurées, notamment autour du hashtag #kebetu (“gazouiller” en wolof) et innovantes du continent.
Elle s’est une nouvelle fois distinguée pour #FreeSenegal avec des conseils sur l’utilisation des hashtags visant à étendre la visibilité du mouvement, mais aussi sur les mécaniques spécifiques de visibilité globale de chaque réseau social.
Des écrans à la rue
En s’affranchissant des frontières du digital pour mobiliser les citoyens jusque dans la rue, la contestation née en ligne autour du hashtag #EndSARS et #FreeSenegal sont parvenues à s’émanciper des réseaux sociaux pour évoluer en mobilisations citoyennes à part entière.
En se matérialisant par des manifestations, la contestation digitale a pu s’étendre à des publics qui n’étaient pas nécessairement touchés jusque-là, dans des zones moins connectées ou auprès de populations moins aguerries à l’utilisation des réseaux sociaux. Elle a gagné en épaisseur. Ces manifestations massives, par la suite largement couvertes par la presse internationale, ont également permis une médiatisation ample au niveau mondial, de la part des médias traditionnels. Les images des foules compactes, réprimées par des policiers dont les violences y sont justement dénoncées, ont fait office de matière première pour les médias dans leur traitement de la revendication. Le hashtag y devient d’ailleurs un marqueur de la lutte, mis en avant sur les pancartes et affiches utilisées dans les manifestations.
Passer des écrans à la rue permet ainsi de mobiliser à la fois davantage de sympathisants de la cause, ceux qui n’ont pas nécessairement accès aux outils du digital ou qui n’en sont pas familiers, et les médias nationaux comme internationaux, en leur donner du grain à moudre – des images concrètes de la protestation pour illustrer leurs papiers et rendre compte des mobilisations.
Au Sénégal comme au Nigéria, le digital est également mis à contribution pour s’assurer du succès de la mobilisation physique, via des levées de fonds pour financer la tenue des manifestations, ou pour soutenir financièrement les familles des victimes.
Quand la contestation physique nourrit la mobilisation digitale
L’investissement de la rue par une mobilisation née sur les réseaux sociaux engendre un mouvement auto-réflexif : les manifestations, en rendant visible la contestation, nourrissent la mobilisation digitale. Jusque là cantonnée au terrain invisible du numérique, la lutte se regarde elle-même à travers la multitude d’objectifs, des smartphones des manifestants comme des appareils photo des médias. Partie des réseaux sociaux, la revendication #EndSARS a investi la rue avant de finir de nouveau sur les fils des milliers, voire millions, d’internautes qui y prennent part ou la suivent avec plus ou moins d’attention. Ce cercle “vertueux” est un levier primordial pour une mobilisation en cela qu’il offre un moyen de gagner en épaisseur et ainsi en visibilité.
La participation de stars nationales à ces manifestations est une aubaine supplémentaire de visibilité pour la mobilisation à travers trois leviers concomitants :
la publication de photos de ces stars par des manifestants, d’autant plus enclins à rendre compte du succès d’une manifestation qu’ils partagent un même engagement avec ces personnalités
la démonstration de l’engagement de ces personnalités sur leurs propres espaces en ligne
les relais de leur participation à ces manifestations par les médias, tant nationaux qu’internationaux
Le basculement dans le monde physique permet également de séquencer la mobilisation, de l’échelonner à travers plusieurs temps forts, et ainsi de la faire exister sur un temps plus long. Chaque manifestation est une occasion de plus de produire des contenus pour les réseaux sociaux et de porter d’autant plus la lutte auprès des médias via des publications en ligne, même si avec cela vient le risque d’un étiolement de la mobilisation dans le temps.
2/ Contre-offensives des autorités
Pour étouffer ces mobilisations, les autorités de certains de ces pays ont tenté de déployer des opérations de contre-offensive. Ce qui est intéressant à relever est le fait que les autorités de certains pays semblent avoir investi le terrain-même des mobilisations pour essayer d’y mettre un terme : le digital.
2.1/ Bataille de hashtags au Cameroun
Au Cameroun, la contre-offensive semble avoir été mise en œuvre par des militants du pouvoir.
La force de frappe d’un hashtag réside dans sa capacité à rassembler autour de lui le plus grand nombre d’internautes et ainsi de tweets. Plus les discussions reprennent un hashtag, plus celui-ci est visible et prend de l’ampleur, et in fine a des chances de peser dans le débat national et d’attirer l’attention des médias. Bien conscients de cela, les soutiens du gouvernement, téléguidé ou non par celui-ci – impossible de se prononcer sur cette question d’un point de vue extérieur, ont tenté de noyer les discussions relatives à la crise anglophone à travers la création et la promotion de multiples hashtags destinés à nuire à la visibilité du hashtag initial.
C’est ainsi que les réseaux sociaux camerounais ont vu naître une multitude de hashtags. Parfois proches du hashtag de la mobilisation citoyenne comme #EndAnglophonCrisis ou #EndAnglophoneCrises, ceux-ci visaient à susciter de la confusion parmi les internautes et ainsi réduire l’utilisation du hashtag #EndAnglophoneCrisis. D’autres hashtags, comme #EndAmbazonianterrorism, semblaient chercher à recadrer le narratif de la mobilisation.
Si la tactique était bien pensée, sa mise en œuvre en ligne n’a pas fonctionné. Cumulés, ces trois hashtags sont difficilement parvenu à susciter 15 % du volume total de tweets enregistrés avec le hashtag #EndAnglophoneCrisis.
Rapidement repérée par les internautes camerounais, la manœuvre a donné lieu à des discussions nourries sur Twitter de la part des internautes engagés dans la contestation. Les fervents défenseurs du mouvement se sont ainsi mobilisés pour clarifier les choses et répondre au besoin de précision des Camerounais moins avertis. Le bras de fer entre autorité et société civile s’est ainsi étendu, de manière subtile, au terrain du digital.
Ardemment contestés, les efforts de la contre-offensive ont été rapidement anéantis, provoquant sa mort en moins d’une semaine.
2.2/ Contre-offensive coordonnée au Nigeria
Au Nigeria, la stratégie adoptée est plus organisée. Ses ressorts sont de l’ordre de l’action d’influence coordonnée. Elle s’est, elle aussi, appuyée sur l’utilisation de hashtags (#OneNigeria utilisé notamment le jour de la fête de l’indépendance, #LetLoveLead, #EndViolence ou encore #EndViolenceInNigeria) cherchant à diluer le message porté par la lutte, voire à la décrédibiliser, mais dans ce pays la stratégie est allée plus loin encore : des influenceurs ont été mobilisés. Si les volumes de la contre-stratégie sont moindres, comparés aux volumes de messages suscités par la contestation #EndSARS, le procédé est intéressant à relever en cela qu’il fait parfaitement appel aux codes des réseaux sociaux.
Le dispositif est dual : d’un côté, une poignée d’influenceurs relaient des discours favorables au pouvoir sur leurs comptes suivis par des dizaines de milliers de Nigérians ; de l’autre une multitude de petits comptes est chargée d’appuyer l’engagement des posts des influenceurs et de relayer des visuels à travers une myriade de tweets.
Les posts publiés par les influenceurs semblent être construits autour de trois axes complémentaires. Le premier type de message encense les forces de l’ordre, policiers et militaires, en mettant en avant leurs faits d’arme contre le groupe terroriste Boko Haram ou des épisodes filmés lors de manifestations durant lesquels ils appellent les manifestants au calme.
Deuxième catégorie de publications, celles qui cherchent à décrédibiliser la contestation #EndSARS, en arguant notamment que les internautes engagés dans cette lutte ont recours à des fake news.
Des propos également tenus rapidement par les forces armées du Nigeria.
Enfin, le dernier type de posts est plus subtile. Il s’agit de messages visant à dissuader les internautes de rejoindre la contestation. Ceux-ci visent particulièrement la génération “Soro Soke” (expression signifiant “parle fort” en yoruba) en l’enjoignant à reconsidérer son engagement au sein du mouvement #EndSARS qui serait manipulé par les enfants des dirigeants contre lesquels cette génération entend lutter ou qui ne serait pas aussi proche du peuple qu’il entend le faire croire.
De l’autre côté du dispositif, une multitude de comptes était chargée d’amplifier la visibilité des publications des influenceurs et des différents hashtags utilisés et de relayer massivement les visuels et messages déployés au sein de la campagne d’influence.
Conclusion
Toutes les mobilisations en ligne n’ont pas forcément atteint leurs objectifs de visibilité à l’international ou obtenu gain de cause quant à leurs revendications.
Bien qu’il n’y ait pas de recette miracle pour mener une campagne de mobilisation digitale efficiente, l’accès sans frein à une bande passante effective demeure, sans surprise, la première condition pour mener à bien un combat en ligne. Dès lors, est légitime la question de la volonté des autorités à restreindre l’accès à Internet et aux réseaux sociaux pour briser tout élan contestataire et dissimuler à l’opinion publique internationale ce qui se déroule au sein des frontières nationales.
Au-delà de ce paramètre crucial, nous avons pu identifier des conditions de réussite dans l’activation de certains leviers, nécessaires voire primordiaux, afin de réaliser une campagne couronnée de succès :
mobilisation des stars à audiences nationales mais surtout internationales,
diffusion de contenus viraux (photos, vidéos) relayant les réalités dénoncées ou exprimant les revendications
mot d’ordre clair et engageant
basculement de la mobilisation digitale en mouvement physique, et vice-versa
Ces éléments apparaissent comme des conditions nécessaires pour alerter l’opinion internationale, susciter un traitement médiatique et, in fine, obtenir gain de cause vis-à-vis des autorités nationales.
Les mobilisations #EndSARS et #FreeSenegal constituent ainsi des cas d’école en matière de mobilisation aussi complète en Afrique, dans la mesure où elles réunissent tous les leviers : une réaction rapide et massive à un fait d’actualité renseignée par des vidéos, des photos puis par des articles, un hashtag dénonciateur qui trouve rapidement un écho important, une mobilisation active des stars nationales, un passage d’une mobilisation online à un mobilisation off line dans la rue, qui ont permis une internationalisation de ces causes.
Une chose est sûre : les sociétés civiles et les citoyens africains se saisiront toujours plus des réseaux sociaux, de façon coordonnée et organisée. Ce phénomène, qui semble préfigurer une tendance durable, constitue un nouvel axe majeur dans les rapports de force politiques entre les autorités et leurs populations sur le continent africain.
35° Nord et Afriques Connectées, laboratoire d’analyse des phénomènes viraux en œuvre sur les réseaux sociaux en Afrique, s’allient afin de couvrir et analyser les discussions sur les réseaux sociaux africains durant la pandémie du Covid-19.
35° Nord et Afriques Connectées proposent une étude des discussions qui ont pris place lors de la pandémie de Covid-19 sur les réseaux sociaux africains ayant trait à la Chine et à ses actions sur le continent.
Contexte de l’étude
Depuis le début de la pandémie mondiale, la Chine multiplie les opérations d’aide internationale en direction de plusieurs États dont de nombreux pays d’Afrique.
Alors que les relations entre l’Empire du Milieu et le continent africain ne cessent de s’intensifier depuis plusieurs années, les récentes actions de la Chine, qualifiées de « diplomatie du masque » par certains, ont donné lieu à de nombreux commentaires sur les réseaux sociaux en Afrique. La gestion chinoise de la pandémie sur son territoire a également été l’objet de vives discussions en ligne, notamment sur le cas, très politique, d’expatriés africains confrontés au racisme dans plusieurs villes du pays.
Comment réagissent les internautes africains aux actions chinoises sur leur continent ? Sont-ils les seuls à en débattre ? Quels sont les différents traits d’image de la Chine vis-à-vis des Africains en ligne ? Un panel de réactions et publications sur Twitter et sur Facebook relatives à ces relations sino-africaines à l’heure de la pandémie de Covid-19 a été collecté entre le 6 mai et le 3 juin avec l’aide de la plateforme Visibrain, pour constituer le corpus de la présente étude.
Données analysées
Une multiplicité d’acteurs prend part aux discussions relatives aux relations entre la Chine en l’Afrique : des comptes anonymes d’internautes africains au Président Donald Trump, les profils des acteurs qui se sont emparés de ce sujet sont réellement protéiformes.
Analyse communautaire
Des acteurs multiples et protéiformes
Si une forte présence de comptes de médias chinois (comme @CGTNOfficial ou @XHNews) est à noter parmi les comptes à l’audience la plus importante, ces derniers présentent une influence toute relative au regard des faibles taux d’engagement générés par leurs tweets.
Le sujet des relations sino-africaines est également fortement préempté par des comptes d’activistes ou militants africains reconnus en ligne, à l’image de @bonifacemwangi militant kenyan particulièrement engagé contre la corruption et dont les tweets ont été retweetés à plus de 1 500 reprises, ou encore le blogueur @gabrieloguda retweeté près de 900 fois.
3 300 hashtags ont été utilisés par les internautes ayant pris part aux conversations sur Twitter.
Le hashtag #ChinaIsNotOurProblem est l’un des hashtags les plus utilisés par les internautes africains pour évoquer les relations entre la Chine et l’Afrique, particulièrement au Nigeria.
Le contexte de mobilisation mondiale contre les violences à l’encontre des Noirs trouve un écho particulier sur le continent, avec le hashtag #BlackLivesMatter fréquemment intégré aux tweets des internautes sur le sujet Chine-Afrique. #ChinaAfricaImpact, utilisé régulièrement et au long cours, permet de concentrer les conversations sur les initiatives chinoises en faveur du développement. Ce hashtag est principalement utilisé pour le Kenya et par des Kenyans.
Entre aide et mainmise de la Chine en Afrique
Aide de la Chine à l’Afrique : des avis partagés
L’aide humanitaire et sanitaire apportée par la Chine sur le continent africain suscite des commentaires positifs mais également des doutes.
Les autorités africaines ont, de leur côté, été promptes à remercier Pékin pour l’aide apportée à leurs pays. Du côté des populations, bien que les conversations ne soient pas polarisées entre deux visions manichéennes vis-à-vis de l’action de la Chine, certains internautes dénoncent les intentions cachées de cette dernière, masquées sous le vernis de la philanthropie.
Ces attaques sont cependant contre-balancées par l’inaction, voire le désintérêt des autres grandes puissances mondiales, et notamment des USA qui, depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir, sont perçus comme désireux de se désengager, d’un point du vue économique, humanitaire mais aussi sécuritaire, de l’Afrique.
Les médias chinois, comme China Xinhua News ou encore People’s Daily China, sont très actifs pour relayer les actions du pays en Afrique. Ils génèrent des taux d’engagements très importants, sans qu’il soit possible de localiser de façon exhaustive la provenance des interactions. Les internautes chinois sont toutefois nombreux à saluer ces initiatives en Afrique, notamment concernant la lutte contre le Covid-19, exaltant la fierté chinoise face à l’OMS ou encore les USA, et le rôle que la Chine doit jouer sur l’échiquier mondial.
Méfiance envers la “bienveillance” de la Chine
La publication et l’annonce, par NTV Kenya, de l’ouverture d’une école financée par la Chine et dont les enseignements seront dispensés exclusivement en mandarin a généré des commentaires virulents, et un nombre de réactions “Angry / colère” très élevé, représentant plus de 10 % des réactions.
Cependant l’expression de cette méfiance à l’égard de la Chine en Afrique doit être pondérée et nuancée. En effet, la Chine n’est pas l’unique puissance étrangère à être accusée de privilégier ses intérêts économiques et commerciaux sur le continent noir. Nombreuses sont les publications accusant la Chine, la Russie, les USA ainsi que l’Europe de vouloir s’accaparer le “gâteau africain”.
La Chine est perçue comme l’un des bâtisseurs d’infrastructures les plus actifs sur le continent africain et notamment dans les pays anglophones de la côte est de l’Afrique (Kenya, Tanzanie). Cependant, la qualité des infrastructures érigées par l’Empire du Milieu sont souvent décriées pour leur qualité et durabilité. Le pont de Sigiri au Kenya qui s’est effondré en 2017, deux semaines après son inauguration, constitue encore aujourd’hui un élément d’image prégnant pour mettre en cause les réalisations chinoises sur le continent.
Par ailleurs, la Chine est fortement accusée de réaliser des infrastructures à dessein, dans le but de développer et nourrir sa politique de renseignement. Ce trait d’image est une constante de la perception de l’action chinoise depuis 2018 et l’espionnage informatique du siège de l’UA à Addis-Abeba (Le Monde, janvier 2018). Ces sujets génèrent très régulièrement de forts taux d’engagement sur les réseaux sociaux, provenant d’Afrique mais aussi du monde entier.
The $12 million Chinese-built Sigiri Bridge in Busia County, Kenya collapsed before it was completed in 2017.
It collapsed just two weeks after it was inspected by President Uhuru Kenyatta. pic.twitter.com/niHgmOQOaK
— Africa Facts Zone (@AfricaFactsZone) June 2, 2020
China has built 186 Government buildings in Africa. They have been found to be spying on African governments through them. They bugged them.
— Africa Facts Zone (@AfricaFactsZone) May 26, 2020
Actions chinoises et résurgence de problèmes internes aux pays d’Afrique
L’aide humanitaire et sanitaire apportée par la Chine sur le continent génère des crispations liées à la gouvernance et à la gestion propre à chaque pays. Ainsi les annonces du Ministère de la Santé Publique du Cameroun sur l’aide sanitaire chinoise ont suscité de vives et nombreuses critiques liées à la corruption des autorités et la redistribution aux populations des matériels et des dons. Au Nigéria, les actions et plus globalement l’influence de la Chine peuvent susciter et exacerber les tensions “ethniques”. En effet, certains internautes nigérians génèrent d’important taux d’engagements lorsqu’ils dénoncent les collusions de l’ethnie historiquement au pouvoir, qu’ils accusent parfois frontalement de brader la souveraineté nationale à la Chine, au bénéfice du clan au pouvoir.
Réaffirmation de la souveraineté des Etats
En Côte d’Ivoire, la rumeur de l’arrivée de 60 voyageurs chinois qui auraient pu entrer mi-mars sans être ni testé ni mis en quarantaine avait fait grand bruit sur les réseaux sociaux, alors que les premières mesures fermes, dont la fermeture des frontières, avaient été prises par les autorités. Une situation similaire au Kenya a également suscité de massifs partages et dénonciations d’un statut privilégié accordé aux arrivants chinois.
Au Rwanda, la décision du Président Paul Kagamé de renvoyer 18 Chinois a été massivement saluée sur des pages panafricaines et d’actualités généralistes. Il est tout de même notable que ces dénonciations provenant des internautes africains ne font pas l’objet d’une expression xénophobe à l’égard des Chinois. Elles renvoient davantage à une demande d’affirmation de souveraineté et d’indépendance des États ou des institutions africaines, ou plus largement d’une égalité de traitement.
39 Kenyans who arrived from China were taken to Cooperative College, Karen at 5:30am. The government had told them quarantine is free but now the staff at the college have refused to accommodate them. They have been told to leave the college if they can’t pay upfront. @MOH_Kenyapic.twitter.com/Nfzz9zW2eX
L’Inde, nouveau concurrent de la Chine sur le continent africain ?
Le continent africain est au centre des convoitises des puissances étrangères. Les difficultés que la Chine pourrait présenter dans le développement de ses activités en Afrique constituent des opportunités pour d’autres. Les médias et réseaux sociaux indiens évoquent régulièrement les failles et fébrilités chinoises en Afrique ouvrent des perspectives à la deuxième grande puissance asiatique pour mettre en place et développer des nouveaux partenariats avec le continent africain, au regard de l’expérience chinoise de laquelle tirer des enseignements.
How Indian analysts compare #China and #India in #Africa: « for China 3 aspects are critical:money, political influence+elite level wealth creation(..)India’s approach=building local capacities +an equal partnership with Africans, not merely with Afr eliteshttps://t.co/1qzQmfPfQL
La question du racisme de la Chine envers les Africains
Mobilisation #BlacksInChina pour les Africains maltraités en Chine
Le sujet du racisme envers les Africains constitue un axe de visibilité prégnant concernant la Chine, ravivé durant la pandémie de Covid-19. Sur les réseaux sociaux, les témoignages et vidéos affluent, provenant des médias (BBC News Africa), de comptes d’actualités généralistes africaines (Africa Facts Zone) ou d’internautes lambda, dénonçant avec fermeté le sort réservé aux ressortissants africains en Chine. Ces derniers ont été mis en quarantaine de force, aspergés de désinfectant à l’entrée des magasins, sans pouvoir être autorisés à y entrer.
Portées par les hashtags #BlacksInChina et #BlackChina, utilisés à eux seuls à plus de 8 300 reprises, ces dénonciations ont pris davantage d’ampleur avec le contexte mondial des violences contre les Noirs. Dès lors, est observable une convergence avec le mouvement #BlacksLivesMatter.
Malgré la virulence et la légitimité de ces dénonciations, aucune prise de parole xénophobe provenant d’un internaute africain n’a suscité de reprises massives à l’égard des autorités et populations chinoises. La xénophobie ne semble pas faire partie des ripostes et critiques africaines contre les Chinois.
« We are being forced into quarantine because we are black. »
Members of the African community in Guangzhou, China say they face discrimination because of their race. Two Nigerian businessmen sent @dannydvincent their stories.
At the same time Africa is very hospitable to the Chinese, a vast majority of #BlacksInChina are going through discrimination. Sadly, our leaders are very comfortable with this, because they’ve been enslaved by the Chinese Gov’t with loans. It’s high time we fight for equality!
Plusieurs officiels africains sont montés au créneau à la suite de la diffusion sur les réseaux sociaux de vidéos des mauvais traitements infligés à leurs compatriotes sur le territoire chinois.
Le 9 avril dernier, le Ministère des Affaires étrangères du Nigeria a sollicité un entretien avec l’Ambassadeur chinois au Nigeria lors duquel il a demandé une intervention immédiate de Pékin.
L’Union Africaine a également réagi, dans un communiqué publié sur ses comptes sociaux, affirmant que “l’Afrique valorise sa relation avec la Chine, mais pas à n’importe quel prix”. Malgré ces réponses diplomatiques, les internautes africains restent nombreux à estimer les réactions de leurs autorités trop timides pour condamner et s’opposer à ces traitements, l’influence et la mainmise de la Chine sur les politiques intérieures en lame de fond.
L’instrumentalisation du racisme envers les Africains au cœur des relations internationales
La question du racisme chinois envers les Africains, si elle a d’abord été restreinte à l’Afrique, a rapidement dépassé les frontières du continent pour se muer en véritable alibi pour mener une bataille d’image et d’influence entre les puissances américaines et chinoises par prises de parole diplomatiques interposées.
Les États-Unis se sont, dès les prémices de la crise, engouffrés dans la brèche. Alors que le porte-parole du département d’Etat américain déplorait un partenariat creux entre la Chine et l’Afrique, mis en exergue par les mauvais traitements infligés aux Africains sur le territoire chinois, le Président Trump a été jusqu’à saisir le cas du racisme de la Chine à l’encontre des Africains pour justifier sa décision de retirer son pays de l’Organisation Mondiale de la Santé.
En plein contexte des manifestations “Black Lives Matter” aux États-Unis, la Chine a publié un communiqué pour dénoncer la maladie chronique du racisme américain, suscitant les railleries des internautes africains qui relèvent l’ironie de la situation en mettant en parallèle le cas de leurs compatriotes durant confrontés au racisme chinois. Tandis que les Etats-Unis et la Chine se livrent cette bataille d’influence, des autorités africaines comme Paul Kagame et Moussa Faki Mahamat élèvent la voix et appellent à recentrer l’attention sur la gestion de la crise.
Totally Agree ,and asking this; Is it Dr.Tedros,WHO,China…under attack or all of them together? Let’s focus on the fight against this pandemic,whoever sh’d be held acc’ntable will come later and done properly. Save us too much politics Africa does not need it. Who does? https://t.co/pNeKIRZGE1
🤣🤣🤣🤣🤣 la Chine qui faisait la chasse aux Africains il y a à peine quelques semaines, s’invite au festival raciste des États-unis. https://t.co/dLNrMNkB1b
— Litsani Choukran (@LitsaniChoukran) June 1, 2020
Le pangolin comme symbole de l’exploitation de la biodiversité africaine
La Chine mise en cause pour son exploitation de l’environnement africain
L’activité d’exploitation des ressources issues de la biodiversité africaine par la Chine constitue un vif levier de critique par les internautes africains, comme par des internautes venant du monde entier.
Cela vient du fait que la majeure partie des publications sur le sujet est issue de pages environnementales non africaines. Au Ghana, c’est l’exploitation de la bauxite par la Chine qui suscite l’ire des internautes du pays.
La Chine n’est cependant pas l’unique pays visé par les critiques : plus globalement les internautes de tous pays dénoncent les méfaits du capitalisme, de son activité extractrice et mettent en cause la société de consommation, ainsi que le rôle des Etats-Unis dans cette tendance. National Geographic a publié début juin un article affirmant que la Chine avait retiré de la liste 2020 des médicaments traditionnels approuvés par les autorités dont “les écailles de pangolin, figurant dans la pharmacopée du pays depuis des décennies”, animal soupçonné d’être à l’origine de la diffusion de la pandémie de Covid-19. Ces cinq dernières années, 90 % des 62 tonnes de pangolins saisis à Hongkong provenaient du Nigeria.
Le respect des animaux en toile de fond des critiques à l’encontre de la Chine
Some African countries such as Uganda, Tanzania, Botswana, Niger, Burkina Faso, Mali and Senegal have banned donkey exports to China and it is time the Agriculture ministry to enforce the ban in this country #CorruptChineseDonkeyDealspic.twitter.com/786PNaiXvy
Les discussions sur les actions de la Chine dans les pays africains suscitent des débats passionnés, nuancés, éloignés d’une vision polarisée ou manichéenne. Les actions d’aide matérielle et médicale chinoise en Afrique sont saluées en ligne, en particulier par les autorités africaines, toutefois la mainmise de la Chine sur les économies africaines et plus particulièrement la faiblesse des souverainetés du continent constituent des axes de visibilité majeurs sur cette thématique.
Malgré les efforts déployés par la Chine sur le continent, les internautes africains ne semblent que peu goûter à la philanthropie chinoise, dont ils doutent de la sincérité désintéressée, en attestent l’utilisation massive de l’emoji de réaction “angry” sur Facebook (6% des réactions enregistrées sur les posts) et les différents hashtags de mobilisation panafricaine en défense des diverses offensives de la Chine. La condamnation des actes racistes des Chinois à l’égard des Africains est ainsi l’un des leviers premiers de visibilité, décuplé par le contexte mondial. Ce racisme, instrumentalisé, est devenu un véritable alibi à la bataille d’image que se mènent Chine et États-Unis.
Le 1er avril dernier, le chercheur français Camille Locht, qui officie à l’INSERM, et le médecin Jean-Paul Mira de l’hôpital Cochin échangeaient sur la chaîne d’information continue LCI au sujet du développement de méthodes médicales pour lutter contre la crise du Covid-19. Sur un ton qu’il qualifie de “provocateur”, Jean-Paul Mira y propose de tester des vaccins sur le continent africain et des populations fragiles “comme cela a pu être fait sur des prostituées” il y a quelques années. Camille Locht abonde dans ce sens et affirme qu’un appel d’offre va être émis auquel l’INSERM répondra très certainement. Ces quelques minutes de discussion ne sont pas passées inaperçues et ont suscité une vague massive d’indignation sur les réseaux sociaux, portée par des internautes africains et issus de la diaspora. Cet événement constitue certainement l’une des premières polémiques d’ampleur mondiale sur les réseaux sociaux concernant un sujet médical et sanitaire en Afrique.
Afriques Connectées a analysé l’ensemble des réactions et publications sur Twitter et sur Facebook provenant de cette polémique a été collecté entre le 1er et le 9 avril, avec l’aide de la plateforme Visibrain.
Chronologie de la polémique
Fin mars : les vaccins font l’objet d’un bruit de fond critique sur les intérêts de lobby pharmaceutique en Afrique. Il est un des ressorts du discours anti-impérialiste en ligne. En témoigne les critiques sur la volonté de la fondation Bill Gates de développer des vaccins pour l’Afrique.
1er avril : diffusion de l’émission de LCI à l’antenne. Premiers extraits de l’émission, filmés au smartphone, publiés sur Twitter.
2 avril : début de la polémique sur Twitter avec 60 000 tweets postés, mobilisation des stars du football et de la musique, lancement de la pétition Change.org, relayée par Booba, et publication d’un communiqué par l’INSERM pour démentir les allégations et contrer les critiques exprimées
3 avril : pic de visibilité sur Twitter et sur Facebook, l’INSERM publie les excuses de son chercheur Camille Locht
À partir du 4 avril : visibilité résiduelle décroissante
Sur les réseaux sociaux, une mobilisation rapide et d’ampleur
Au total, on dénombre près de 210 000 tweets et retweets postés par plus de 120 000 comptes entre le 1er avril et le 9 avril, générant 430 millions d’impressions potentielles.
L’ampleur de la crise est due à deux facteurs concomitants :
la proportion d’internautes ayant posté un tweet, et pas simplement effectué des RT, est très importante : elle concerne plus d’un internaute sur quatre (21 427 au total)
le volume de RT est conséquent, on en dénombre pas moins de 180 000, ce qui a permis à la polémique de s’exporter largement au-delà du noyau d’acteurs ayant pris la parole sur le sujet sur le réseau.
Donnée intéressante : le nombre de vidéos postées nativement dans un tweet. Preuve de l’emballement de la polémique, 80% de ces vidéos ont été postées entre le 3 et le 7 avril, offrant un second souffle à la crise née avec les premières publications de l’extrait vidéo de LCI. L’existence du support vidéo (et les captures d’écran rendues possibles) permet de fixer l’événement de façon tangible et favorise les reprises et les partages.
Côté Facebook, si le sujet a atteint un nombre très conséquent de profils (plus de 260 millions d’impressions), il a également suscité une forte activité : en atteste le nombre d’interactions générées par les 1 710 posts analysés. En moyenne, chaque post a ainsi été liké, commenté et partagé plus de 2 300 fois.
Analyse communautaire de la polémique
Les stars internationales, leviers de la médiatisation
Le rappeur Booba a été la première star internationale à relayer la vidéo LCI dans la nuit du 1er au 2 avril. Booba figure également parmi les premiers relais d’ampleur d’une pétition hébergée sur la plateforme Change.org. Cette pétition est le lien le plus partagé sur Twitter (8 753 partages sur la période), elle comptabilise plus de 130 000 signatures.
En suscitant des milliers de RT et de likes, ces comptes ont joué le véritable rôle d’amplificateur de la polémique en élargissant la propagation du contenu décrié à une audience considérable, grand public, pas nécessairement politisée ou coutumière de ce genre de sujet. De plus, les communautés en ligne de ces sportifs et artistes s’étendent en Afrique comme en France.
Publié le 2 avril, l’article de l’Equipe sur l’indignation du footballeur camerounais Samuel Eto’o sur Facebook est la publication la plus relayée sur Twitter avec plus de 2 100 partages. C’est elle qui suscite, dans une mesure importante, la vague de reprises par les médias généralistes francophones.
Une disparité d’acteurs mobilisés à divers niveaux
L’ampleur de la polémique et sa dangerosité en pleine crise sanitaire mondiale ont alerté l’Organisation mondiale de la Santé. C’est par la voix de son Directeur général, Dr Tedros, que les “propos racistes” du chercheur et du médecin français sur LCI ont été condamnés par l’OMS. Cette prise de parole explique la mobilisation et les interpellations des comptes institutionnels internationaux (@WHO, @onuinfo), mais aussi d’Emmanuel Macron qui évoque sa discussion avec Dr Tedros sur la situation en Afrique.
Malgré le nombre important d’articles publiés et partagés sur Twitter, plus de 7 600, l’influence des médias s’avère réduite dans la crise en ligne. La majeure partie des articles ont été publiés le 4 avril, soit le lendemain des pics de visibilité sur les réseaux sociaux. RFI et France Info sont les articles les plus RT sur Twitter, le premier sur les excuses du chercheur de l’Inserm, le second sur la réaction de l’OMS.
Les militants panafricanistes et anti-impérialistes connus des réseaux sociaux comme Kemi Seba et Nathalie Yamb suscitent de forts taux d’engagement sans pour autant faire porter leur voix au delà de leur communauté classique. La sociologue Kaoutar Harchi suscite plus de 5 000 RT et 7 000 likes en dénonçant le manque de considération pour les “corps féminins racisés”.
Le cas de la communauté sénégalaise sur Twitter
Si le Président sénégalais Macky Sall n’a pas réagi à la polémique des vaccins sur son compte Twitter, son tweet du 2 avril posté à la suite de sa conversation avec E. Macron sur les mesures conjointes à mettre en place pour lutter contre le Covid-19 en Afrique a été, lui, abondamment commenté par la communauté de twittos sénégalais (#Kebetu). Très active sur Twitter, celle-ci a interpellé Macky Sall sur la question des vaccins, l’enjoignant à refuser tout test sur le territoire sénégalais.
Par ailleurs, le Ministre de la santé du Sénégal, @abdioufsarr, a tweeté la vidéo de sa déclaration sur le sujet lors d’un échange télévisé sur la chaîne ITV Sénégal, le 3 avril.
Son tweet, affirmant que “l’Afrique n’est le dépotoir de personne”, est le 4ème tweet le plus retweeté au Sénégal.
La cartographie illustre le fait qu’Abdioulaye Diouf Sarr fait le lien entre la communauté #Kebetu et des comptes suivis par la diaspora comme @diasporamediaof, très actif sur cette polémique. Ces comptes de la diaspora présentent également une forte proximité avec des comptes de sportifs et artistes ayant amplifié la crise comme @ndiayegaindesn.
Une polémique qui a atteint les plus hauts sommets
Partie d’une séquence télévisée sur une chaîne française, la crise a enflé sur Twitter avant d’atteindre les plus hauts niveaux. Plusieurs Présidences et Président africains ont réagi à la polémique directement sur leurs compte Twitter, tout comme le Directeur général de l’Organisation Mondiale de la Santé.
#Urgent#COVID19 La Présidence informe l’opinion publique que les autorités maliennes n’ont signé aucun accord pour tester un vaccin anti Covid-19 sur le sol malien contrairement aux posts mensongers qui circulent sur les réseaux sociaux.
L’OMS condamne les propos de chercheurs évoquant l’Afrique comme « un terrain d’essai » pour un vaccin – L’Express https://t.co/ycRYPQNOrj
— Tedros Adhanom Ghebreyesus (@DrTedros) April 6, 2020
À noter : le Président français a réagi à la polémique le 15 avril sur l’antenne de RFI pour dénoncer les “propos inconséquents” des deux chercheurs français.
Un public large touché par des stars populaires sur Facebook
Sur Facebook, les artistes africains dont les popularités nationales et continentales ne sont plus à développer se sont massivement mobilisés via leur page officielle.
Bien que les posts les plus relayés et partagés proviennent des footballeurs à la notoriété intercontinentale Samuel Eto’o et Didier Drogba, la mobilisation des artistes africains a permis d’ouvrir la visibilité de la polémique à une audience africaine large et plus populaire que sur Twitter. Parmi les plus engageants sur le sujet, les acteurs/producteurs ivoiriens Michel Gohou et Guy Kalou Emile, du chanteur Alpha Blondy et le chanteur congolais Koffi Olomide.
Sans surprise, les internautes expriment leur indignation en commentaires des articles de RFI ou encore du Parisien qui figurent parmi les publications médias les plus engageantes.
Profils des acteurs de la diffusion
Une propagation portée par deux types de profils
Deux types de profils ont porté la propagation de la polémique, chacun ayant eu un rôle précis dans la propagation :
Les petits comptes, suivis par moins de 500 followers, représentent la masse de la mobilisation citoyenne : ils ont été très actifs autour de la polémique — ils sont les auteurs de 70% des tweets, mais n’ont généré qu’une très faible visibilité sur le réseau social
Les stars du sport et de la musique, dont les comptes dénombrent plus de 100 000 followers, ont permis deux choses : le déclenchement des reprises médiatiques de la polémique dès lors qu’elles s’en sont emparées, ainsi que l’ouverture et l’élargissement de la polémique au grand public qui les suit massivement sur Twitter.
Peu nombreuses parmi l’ensemble des comptes (elles représentent à peine 0,13% de l’ensemble des comptes), ces personnalités ont généré plus de la moitié des impressions liées à la crise. Leurs comptes, extrêmement suivis, ont ainsi étendu la visibilité de la polémique à des internautes peu politisés ou peu militants. Elles ont été soutenues par les micro-influenceurs et influenceurs, suivis par 5 000 à 50 000 followers, qui via leurs réseaux denses, actifs et connectés ont permis de déclencher une véritable mobilisation revendicatrice. Certains des tweets les plus retweetés (@__realea, @DidiBabeee) ont été postés par des comptes ne comptant qu’environ 1000 abonnés, preuve de la force de cette mobilisation revendicatrice.
Grand public et militants, en France et en Afrique
Les intérêts renseignés dans les biographies des comptes ayant réagi aux propos de Camille Locht et Jean-Paul Mira nous donnent à voir le type de public mobilisé tout au long de la polémique. On retrouve une forte prévalence des termes liés au sport et à la culture, matérialisant l’influence des stars de ces deux domaines dans la propagation de la crise sur le réseau social auprès de profils peu politisés.
La communauté de comptes militants, liée au champ lexical de la politique, étant de son côté activée par les comptes des micro-influenceurs et influenceurs.
La question de la profession des internautes semble également s’éclaircir au regard de leurs intérêts, une large partie d’entre eux faisant état de leur métier dans leur biographie. À noter une forte proportion de métiers liés à la communication et au digital, proportion relativement courante sur Twitter.
Par ailleurs, 26% des comptes ayant pris part à la polémique sur Twitter sont localisés en France, et notamment en Ile-de-France, où la diaspora africaine est très présente. Il s’agit du pays le plus représenté parmi les internautes, loin devant la Côte d’Ivoire (2%), la Belgique (1,9%) et le Sénégal (1,7%). Sur Facebook, l’écart entre la France (21%) avec le second pays le plus mobilisé, la Côte d’Ivoire (10,39%), est plus réduit que sur Twitter. Le Sénégal, troisième à 10%, devance le Cameroun à 5 % puis une multitude de pays africains de la sous-région et enfin d’Afrique centrale.
Cette répartition s’explique en partie par la notoriété transcontinentale des stars du football et de la musique qui se sont emparées de la polémique, au-delà du fait que la polémique est née en France à la suite de propos tenus par des chercheurs français.
Plusieurs profils africains issus des médias et du monde de la communication ont été prompts à s’emparer de la polémique.
ESSAYEZ POUR VOIR! Des occidentaux s’imaginent que de pauvres africains seront les cobayes de l’humanité. AUCUN LABORATOIRE OCCIDENTAL N’EMPOISONNERA D’AFRICAINS! LES DIRIGEANTS AFRICAINS QUI AUTORISERONT CELA DOIVENT SAVOIR QU’À LA TÊTE DES ÉTATS, LEURS JOURS SERONT COMPTÉS pic.twitter.com/V1j0viGjf3
Ce racisme mal contenu. Cette condescendance et ce mépris dégoulinant et constant pour « les africains ». Ce neocolonialisme étouffant. Et ce genre de propos qui passent crème à la télévision française…Quelle honte! pic.twitter.com/mtEWSHD2M2
Connectés et influents, ces micro-influenceurs et influenceurs du secteur ont pu rapidement activer leurs réseaux composés de Key Opinion Leaders.
Analyse des conversations
1 300 hashtags ont été utilisés au sein des 210 000 tweets du corpus analysé. Nous les avons cartographiés pour faire apparaître les liens entre eux.
En bleu ciel, on retrouve des hashtags des pays associés aux principaux hashtags relatifs à la pandémie, et à la réaction de l’OMS, dans une plus faible mesure.
Représentée en violet, une partie non négligeable des conversations est axée sur la République Démocratique du Congo, qui s’était déclarée favorable à une campagne de vaccination de ses habitants, avant de se dédire face à l’ampleur de la polémique. Plusieurs termes et hashtags font référence pèle mèle à la dimension coloniale, la médecine coloniale, le BigPharma ou le racisme.
Portée par le rappeur Kaaris, l’expression “rats de laboratoire” jouit d’une forte visibilité. La référence aux animaux fait également partie des plus récurrentes.
À noter : absence de hashtag mobilisateur dans les conversations francophones, contrairement au hashtag #AfricansAreNotGuineaPigs utilisé par les anglophones.
Sur Facebook, la colère prédomine
Colère, méfiance et rejet sont les trois registres principaux des réactions sur Facebook.
Les hashtags les plus utilisés dans les publications publiques relatives à cette crise sont, outre ceux contextuels (coronavirus, vaccin, LCI…), de l’ordre de l’opposition (“Y en a marre”, qui est également un mouvement de la société civile au Sénégal, “pas de vaccin en Afrique”, “l’Afrique n’est pas un laboratoire”) et de dénonciation du racisme de la France vis-à-vis des Africains, vis-à-vis des Africains globalement.
Le terme “masque”, présent dans 10 % des publications, est utilisé pour mettre en exergue l’ambivalence attribuée à la France : celle-ci ne dispose pas de masques en nombre suffisant pour protéger sa population mais aurait pour priorité de protéger les populations africaines. Le mot “complot” est également récurrent, présent dans 6 % des publications.
Fait marquant : le deuxième emoji de réaction le plus utilisé sur les posts Facebook analysés est celui de la colère, à hauteur de quasi 10%, un chiffre élevé. Si le like classique est polysémique, l’emoji colère ne laisse que peu de doute quant au sentiment exprimé par les internautes l’ayant utilisé.
Les fake news à l’assaut des contenus
Le traitement médiatique de la polémique, s’il s’est focalisé sur les propos tenus par les deux médecins et les différentes réactions qui en ont découlé, a également abordé un volet plus global de lutte contre les fake news.
Qu’il s’agisse d’articles répondant à des sollicitations de lecteurs (à l’instar du travail fait par AFP Factuel) ou de contenus dédiés (comme cette vidéo d’AJ+ au sujet de l’historique des tests effectués en Afrique), les médias ont été nombreux à traiter le sujet sous l’angle de la lutte contre la désinformation.
La polémique analysée ici est née sur un terreau déjà propice à la propagation de fake news dans le domaine sanitaire et médical. Le sujet des vaccins, testés ou commercialisés par des Occidentaux en Afrique, cristallise un bruit de fond constant depuis le début de l’apparition de la pandémie (cf les complots apparus il y a quelques jours), mais qui remonte en réalité à plusieurs années.
Vidéo très intéressante sur les faux vaccins testés sur la population Africaine contre le Corona virus. Mais en réalité l’Afrique est utilisé comme cobaye. 1/3 pic.twitter.com/chdATVYMV7
Il s’agit d’un marronnier de la désinformation sur les réseaux sociaux, qui s’appuie comme toute bonne fake news sur les ressorts de la peur et du complot et sur des faits avérés, citons par exemple ce témoignage issu d’un documentaire de Planète + affirmant que les Etats-Unis ont inoculé volontairement le virus du SIDA en Afrique et cet article du Monde Diplomatique de juin 2005 intitulé L’Afrique, cobaye de Big Pharma qui ont tous deux ressurgi après l’éclatement de la crise .
Son deuxième article sur le sujet suscite lui aussi un engagement important sur les réseaux sociaux, notamment de la part d’internautes africains.
En complément de la satire, le registre de l’ironie est également utilisé par les internautes pour dénoncer et tourner en dérision les propos des deux chercheurs en mettant en parallèle les tests dont ils discutent et ceux pratiqués sur les animaux, suscitant eux une indignation large.
Au cours d’un débat télévisé, un chercheur malien et son confrère égyptien ont provoqué un début de polémique en évoquant l’Europe comme le prochain terrain d’essai d’un traitement expérimental contre le racisme #satirehttps://t.co/OO94Le9IdI
BIENVENUE EN 2020, LE MONDE DANS LEQUEL ON FAIT DES PROCÈS LORSQUE DES CHOSES SONT TESTÉES SUR LES ANIMAUX MAIS ON NE VOIT AUCUN INCONVÉNIENT À TESTER DES VACCINS SUR DES AFRICAINS.
Initialement francophone, la crise s’est rapidement exportée dans les régions anglophones, en Occident comme en Afrique. Côté anglophone, le volume de la polémique s’établit à un peu plus de 190 000 tweets publiés entre le 1er et le 8 avril.
Le schéma de propagation de la crise y est identique, avec un retard de deux jours.
Ici aussi, de nombreuses personnalités, qu’elles soient Africaines ou issues de la diaspora, issues du monde du sport ou de la culture ont permis d’attirer l’attention des médias grâce à leur notoriété. Il convient toutefois de noter qu’il s’agit principalement de personnalités francophones qui ont relayé le sujet à des publics anglophones, à l’instar de Didier Drogba qui, par des tweets publiés en anglais, a été le premier à étendre la polémique au-delà des frontières de la Francophonie.
La visibilité médiatique est également portée par des personnalités francophones, relevons par exemple l’article rédigé par Rokhaya Diallo et publié dans le Washington Post.
Plusieurs stars anglophones prennent ensuite son relai en s’emparant du sujet pour dénoncer vivement les propos tenus par les deux chercheurs français mais également, de manière plus globale, la position de l’Occident vis-à-vis de l’Afrique.
Notons également ce tweet, retweeté plus de 13K fois, qui relaie une vidéo publiée initialement sur Tik Tok pour dénoncer les propos des chercheurs, signe que la polémique a fait le tour des réseaux sociaux autant qu’elle a fait le tour du monde.
Depuis quelques mois les réseaux sociaux guinéens sont en pleine effervescence. En débat, la volonté de l’actuel Président Alpha Condé de doter la Guinée d’une nouvelle Constitution à quelques mois du terme de son deuxième et dernier mandat. L’opposition et de nombreux acteurs de la société civile, réunis au sein du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC), protestent dans les rues du pays depuis le mois d’octobre contre la démarche d’Alpha Condé et de son parti le RPG Arc-en-Ciel. L’opposition fédérée accuse Alpha Condé de vouloir changer la constitution pour briguer un 3ème mandat, illégal au regard de la constitution actuelle.
Sur les réseaux sociaux, deux camps s’affrontent, polarisés autour du mot d’ordre #Amoulanfé (anti-référendum et 3ème mandat), littéralement “ça ne marchera pas” en Soussou (l’une des 3 langues les plus parlées en Guinée avec le Malinké et le Peul), et de son opposé #Alanmané (pro-3ème mandat). Afriques Connectées, en partenariat avec la plateforme Visibrain, a collecté près de 47 300 tweets relatifs au référendum constitutionnel et au potentiel 3ème mandat d’Alpha Condé entre le 9 décembre 2019 et le 22 janvier 2020. L’Observatoire Afriques Connectées vous propose de plonger dans ces conversations pour découvrir les dynamiques de mobilisation et les rapports de force entre les deux camps sur Twitter.
Les manifestations du FNDC rythment l’activité sur Twitter
Les principaux pics de visibilité et de discussion sont corrélés au processus d’avancement politique du projet de nouvelle Constitution mais aussi aux manifestations du FDNC, qui figurent parmi les principales sources de visibilité du débat en ligne.
Le principal pic est survenu le 19 décembre, lorsque le Président Alpha Condé a annoncé sur la chaîne TV nationale, la RTG, l’élaboration d’une nouvelle Constitution qui sera prochainement soumise au peuple par voie référendaire.
Les manifestations du 10 décembre, du 6 janvier et celles, quotidiennes, débutées à compter du 13 janvier, ont permis à l’opposition de se distinguer comme le plus gros pourvoyeur de discussions en ligne. En dehors de l’annonce faite par Alpha Condé le 19 décembre, c’est bien la mobilisation anti-3ème mandat qui dicte le tempo des conversations en ligne.
Sur Twitter, l’opposition prend le dessus
Rassemblés au sein du Front National pour la Défense de la Constitution, le FNDC, les partis d’opposition et la société civile font aussi front commun en ligne. Sur les 490 comptes les plus actifs et influents sur les réseaux sociaux, la communauté d’opposition rassemble sensiblement plus de comptes que la communauté de la mouvance présidentielle (38 % pour l’opposition, représentée en rouge, et 18 % pour la mouvance présidentielle représentée en vert). La communauté de l’opposition s’avère bien plus vaste et plurielle, réunissant des profils variés et davantage en interactions avec des comptes de journalistes et de médias internationaux, d’une part, d’institutionnels et d’ONGs d’autre part.
La communauté de la mouvance présidentielle présente de son côté une typologie de profils plus resserrée, dont la quasi-totalité est acquise à Alpha Condé. Également moins active, cet écosystème militant peine à peser dans le rapport de force sur Twitter. Celui-ci est principalement porté par les comptes du Premier ministre @IbrahimaKFofana et des ministres @gcurtisgn et @naitemoustapha.
Les comptes d’opposition, plus influents, parviennent à susciter plus d’adhésion auprès d’une audience plus large, composée de davantage de comptes apolitiques et non partisans, tandis que la mouvance présidentielle ne suscite des interactions qu’auprès d’un cercle circonscrit aux militants et cadres du RPG-Arc-en-Ciel.
Les opposants font cause commune
Réunis autour d’une cause commune au sein du FNDC, dont le compte Twitter fait office de compte pivot des revendications contre le 3ème mandat, les différents comptes de l’opposition allient également leurs forces sur les réseaux sociaux. Cette alliance digitale leur permet de mobiliser leurs communautés respectives et ainsi de susciter de forts taux d’engagement, de porter leurs messages à une audience massive et, in fine, de gagner aisément le rapport de force contre les comptes de la mouvance présidentielle sur Twitter.
Sidya Touré, Président du parti d’opposition UFR, apparaît comme pleinement intégré à la communauté du FNDC. Sa communauté semble se confondre avec cette dernière, si bien que ses interactions proviennent essentiellement de comptes se revendiquant du FNDC sans bénéficier d’une communauté de soutien propre à son parti.
Les deux autres grandes figures de l’opposition politique, Cellou Dalein Diallo, chef de file de l’opposition et président du plus grand parti d’opposition l’UFDG, et Bah Oury, ancien membre de l’UFDG ayant coupé les relations avec le parti avant de lancer le sien, tous deux liés au FNDC, possèdent leur propre communauté en ligne, en témoignent leur positionnement et leur importance sur la cartographie.
Il faut cependant relativiser et nuancer l’influence et l’importance de Bah Oury, son compte ayant suscité un grand nombre d’interactions à la suite d’un piratage et la diffusion d’une “image pornographique”, ce qui explique une partie de sa visibilité dans la cartographie, contextuelle au moment de la réalisation de notre analyse.
Mon compte est piraté . Nous sommes en train de régler le probléme au plus tôt pour éliminer l’image pornographique. Veuillez nous en excuser.
Cellou Dalein Diallo s’impose dès lors comme le membre de l’opposition le plus influent sur Twitter. Bien que son activité soit moins intense que celle des deux autres leaders, il est, de loin, l’homme politique guinéen qui suscite le plus d’engagement sur Twitter. Quatre de ses tweets figurent dans le top 10 des tweets les plus retweetés sur la période analysée, ayant suscité 844 RT, loin devant Bah Oury (@bahourykigna) avec 700 RT suscités et Sidya Touré (@sidyaofficiel), 197 RT suscités.
L’année 2020 signe la fin de la dictature d’Alpha Condé. Toujours plus nombreux dans nos rues, les Guinéens crient par milliers #Amoulanfé ! Rien ne nous arrêtera. pic.twitter.com/y5ayptMZHs
Une myriade de comptes experts ou activistes pour faire barrage au 3ème mandat
Le compte @Amoulanfe2020, se présentant comme un collectif non partisan engagé contre le 3ème mandat, se place parmi les comptes les plus influents de la mobilisation en ligne. Avec plus de 1300 RT suscités sur la période, il est le 4ème compte le plus repris derrière les médias nationaux @VisionGuinee et @Guineematin, et le @FNDC_Gn. Très actif en terme de veille et de riposte, la force de ce compte est de publier régulièrement des contenus propres, avec des infographies et des montages vidéos très relayés dénonçant la mainmise d’Alpha Condé sur les affaires politiques et économiques du pays.
Voilà qui prouve à suffisance que cet homme a tjs utilisé la fraude pour se maintenir au pouvoir & qu’il est déterminé à confisquer encore le vote des citoyens: Alpha Condé pris en flagrant délit d’immixtion dans le processus d’enrôlement des électeurs en Haute #Guinée#Amoulanfépic.twitter.com/DGYgvhA4Ma
L’opposition contre le 3ème mandat d’Alpha Condé s’appuie également sur des comptes secondaires mais néanmoins influents regroupant des profils variés avec des experts et blogueurs comme @RIFCHEDIALLO, @witterlims ou encore @sbskalan (qui a lancé récemment #AlloColéah, équivalent de #AlloBeauveau de @davduf en France) et des militants et activistes comme @ambangoura, @kalilLeGeneral, @FodeBALD2 et @fareinta.
Les médias @VisionGuinée, @Guineematin, les journalistes @CarolValade et @sidyyansane, pour leur activité de relais d’information, sont très souvent repris et mentionnés par les comptes d’opposition, ce qui explique leur présence dans cette communauté.
La mouvance présidentielle écrasée et mise à l’écart par l’opposition
La difficulté de la mouvance présidentielle à peser dans les conversations s’explique aisément au regard du positionnement politique de leur leader Alpha Condé et de son silence fallacieux sur sa volonté de faire un 3ème mandat. S’abstenant de se déclarer officiellement à l’heure actuelle, il laisse pour simple possibilité à ses partisans de faire la promotion du référendum pour une modification constitutionnelle sans réel argument tandis que l’opposition communique autour d’un argument fort et mobilisateur : le lien entre nouvelle constitution et 3ème mandat.
Ce positionnement inavoué du Président Alpha Condé laisse ses soutiens dans l’embarras. Les comptes institutionnels de l’Etat se retrouvent marginalisés, ce sont ainsi les hommes politiques (ministres et chargés de communication) qui concentrent les débats. Les comptes personnels des ministres ont supplanté les comptes des Institutions, en témoigne @GouvGN qui n’a rien publié depuis juin 2019, le compte n’apparaît dans la cartographie qu’en raison du fait qu’il continue d’être mentionné.
Présence duale d’Alpha Condé sur Twitter
Deux comptes se présentent comme étant ceux du Président Alpha Condé : @President_Gn et @AlphaCondePRG. Aucun n’a la certification Twitter et tous deux affichent des habillages, lignes éditoriales et actualités similaires.
Tandis que @President_GN apparait dans la même communauté que les comptes de la mouvance présidentielle (communauté verte), le compte @AlphaCondePRG fait davantage l’objet d’attaque de la part des comptes proches du FNDC (d’où sa présence dans la communauté rouge) tout en présentant une forte proximité avec les comptes de la mouvance présidentielle à travers de nombreuses reprises de la part de comptes ministériels ou pro-Condé. Le compte @AlphaCondePRG est celui des deux comptes qui suscite le plus de RT, 361 contre 302 pour @President_Gn sur la période analysée. C’est plus de deux fois moins que ceux engrangés par Cellou Dalein Diallo, chef de file de l’opposition.
@Prof_AlphaCondé est un compte ouvertement parodique, il est cependant le compte au nom d’Alpha Condé qui a le plus de followers, près de 50 000.
Les comptes d’opposition à la recherche de soutien auprès de la communauté internationale
En bas de la cartographie, intégrés à la communauté FNDC engagée contre le 3ème mandat, se retrouvent les comptes internationaux : @ndi, @ecowas_cedeao, @_AfricanUnion, @JY_LeDrian, @EmmanuelMacron, @AOuattara_PRCI, @GEJoanathan… qui font pour la plupart l’objet d’interpellation des comptes d’opposition les appelant à l’aide ou à des prises de parole contre le 3ème mandat. L’actualité internationale d’Alpha Condé donne aussi l’occasion à l’opposition d’élargir la visibilité de ses interpellations et de faire connaître son combat au delà des milieux initiés.
La mouvance présidentielle a été bousculée quelques jours fin janvier par une grève des communicants du RPG dont les revendications portaient sur une augmentation de leurs indemnités et une valorisation de leur fonction. Ces comptes, peu nombreux mais très actifs, sont régulièrement accusés de véhiculer des fake news en faveur de leur candidat ou dénigrant ses opposants. Si ceux-ci ont obtenu gain de cause auprès de leur parti, il est peu probable que la reprise de leur activité change le rapport de force. En Guinée, Twitter dit #Amoulanfé.
Comme pour l’élection de 2012, pendant laquelle le Sénégal avait fait figure de leader dans le domaine des civic tech en Afrique en lançant la plateforme citoyenne de suivi de la campagne électorale #Sunu2012, les internautes sénégalais condensent depuis quelques mois les tweets relatifs à l’élection de 2019 avec le hashtag #Sunu2019 (plus de 7 500 tweets au cours des 30 derniers jours). Mais c’est un autre hashtag qui mobilise la twittosphère sénégalaise ces derniers jours : #SunuDébat. Celui-ci est présent dans plus de 21 000 tweets une dizaine de jours après sa première apparition, le 8 janvier.
L’idée portée par le hashtag d’inviter les candidats à l’élection présidentielle à s’affronter lors d’un débat télévisé est lancée par @Call_Me_Wawa, qui interpelle directement le Président du Sénégal sur le sujet, dans un tweet retweeté à plus de 600 reprises.
Cet appel a été suivi très rapidement par la twittosphère sénégalaise, l’une des plus actives et influentes de la sous-région voire du continent africain, avec notamment l’influent activiste @aliamsi (23.5 K abonnés).
L’organisation d’un débat en vue de l’élection présidentielle serait une première pour le Sénégal, une démarche également très marginale voire inexistante pour un pays de la sous-région.
Macky Sall, candidat à sa propre succession a cultivé pendant l’ensemble de son mandat l’image d’un Président réformateur et novateur. La posture du Président candidat quant à cette opportunité de saisir cette démarche et de se soumettre à un débat semble pourtant constituer davantage une prise de risque qu’une sinécure, tant la virulence des candidats d’opposition à son égard se fait pesante.
Afriques Connectées s’est penchée sur le hashtag #SunuDébat, de son apparition à sa médiatisation en passant par la mobilisation citoyenne qu’il suscite, à travers l’analyse et la cartographie de 16 217 tweets émis avec les hashtags #SunuDébat et #Sunu2019 entre le 3 et le 13 janvier.
Des candidats à l’écoute
En quelques heures, le tweet atteint le Ministre en charge de la communication présidentielle, El Hadj Hamidou Kassé, qui indique que les conditions ne sont pas réunies pour la mise en place d’un débat à ses yeux. A la suite de cet échange, @Call_Me_Wawa annonce le lancement du hashtag #SunuDébat :
Si la jeune étudiante est parvenue à échanger avec l’équipe de Macky Sall, ce n’est véritablement qu’à partir du relai de l’initiative par @aliamsi que celle-ci connaît un réel essor, notamment auprès des candidats. Ce dernier invite l’ensemble des candidats à se prononcer sur l’initiative :
Et cette démarche s’est avérée fructueuse : le premier candidat à signifier sa volonté de participer à un tel débat est Madické Niang, en réponse directe, puis viennent les réponses d’Ousmane Sonko, de Khalifa Sall (dont la candidature a depuis été écartée par le Conseil Constitutionnel), et d’Issa Sall.
Cette cartographie des 1 165 comptes les plus actifs sur Twitter avec les expressions #SunuDébat et #Sunu2019 retrace très bien l’historique de ce phénomène, et la manière dont le hashtag #SunuDébat a circulé sur les réseaux. On constate nettement l’influence du compte @Call_Me_Wawa qui fédère une large audience autour du hashtag qu’elle a lancé le 8 janvier. Du fait d’un rythme de publication soutenu (103 tweets uniques publiés avec ce hashtag depuis ce compte), pour commenter et soutenir la dynamique du hashtag, ce compte fédère une large communauté (ici représentée en jaune). Néanmoins, c’est le soutien de Papa Ismaïla Dieng (@aliamsi) qui relaie le hashtag le 9 janvier dans un tweet qui sera le plus partagé sur la période (362 retweets) qui permet d’augmenter la visibilité et l’écho de cette démarche. Le bloggeur aux plus de 23 000 followers mentionne les principaux candidats dans son message, qui gagnent de facto en visibilité à mesure que le message est relayé. @Aliamsi, de par sa visibilité et sa légitimité sur le web mais également en dehors (le journaliste est notamment membre des Africtivistes dont nous parlions dans un précédent billet), bénéficie d’une telle capacité de résonance, et donc de potentielles de connexions, qu’il génère une communauté à part, verte sur notre carte.
Entre ces deux communautés, plusieurs comptes relayent le hashtag afin de défendre le projet. On y retrouve notamment le compte @LoMaCire qui publie près de 34 tweets uniques avec le hashtag dont un thread passionné. La disparité des interactions suscitées par ce compte (lien rouge) à plus de 25 000 abonnés, montre son utilité pour exporter le débat hors des deux communautés déjà étudiées et traditionnellement investies sur les sujets politiques.
Remarquons enfin trois autres comptes d’importance, tant par leurs publications que par leurs mentions visibles sur cette cartographie : @djigane et @adbourami, comptes influents de la communauté jaune, et @KaneBousso pour la communauté verte. Il s’agit de comptes relais avec une forte capacité de soutien dans la circulation des messages. Mais la visibilité de ces comptes s’explique également par le rôle que tiendraient leurs propriétaires dans l’organisation du #SunuDébat, à moins que ça ne soit l’inverse comme nous le verrons plus tard.
Des médias impliqués
Dans un premier temps restreint aux réseaux sociaux, le hashtag #SunuDébat est rapidement repéré par les médias. Prompts à relayer les initiatives et débats nés sur les réseaux sociaux, les médias nationaux sont les premiers à couvrir (MétroDakar publie un article le jour-même, suivi par DakarActu, PressAfrik, SeneNews, …) ; les médias internationaux ne tardent pas à leur emboîter le pas (Africa Post News, RFI, Jeune Afrique qui publie également une tribune de @Call_Me_Wawa).
Presse papier (citons notamment L’Observateur, quotidien le plus lu au Sénégal), radio et télévision ne sont pas en reste, ce que ne manque pas de relever l’initiatrice du hashtag dans une volonté d’amplifier la visibilité des différentes retombées presse générées par son initiative et d’asseoir la légitimité de celle-ci aux yeux du monde journalistique :
Au-delà d’un relai de l’initiative, certains médias se sont prononcés en faveur de la tenue d’un tel débat présidentiel. Le site d’information Dakarflash appelle ainsi la profession à soutenir l’initiative :
Quant à elle, la chaîne privée 2STV va jusqu’à proposer d’héberger le débat sur ses ondes.
Des citoyens mobilisés ?
Heureuse bénéficiaire de cet intérêt en ligne, la pétition lancée il y a quatre mois par la “plateforme de démocratie participative” sénégalaise Sunu Vote connaît un regain de popularité sur la période étudiée : 280 tweets partagent le lien vers cette pétition qui n’a cependant toujours pas encore dépassé le palier symbolique des 10 000 signatures : 7 887 signatures sont relevées au moment où nous écrivons ce texte (alors même que nous avons relevé plus de 16 000 tweets sur une semaine).
Sunu Vote se félicite d’ailleurs de la popularité du sujet grâce au hashtag dans un billet publié sur Change.org. Les auteurs félicitent l’initiatrice du hashtag et déclarent être les “partenaire[s]” de cette initiative. Si cette tournure pourrait laisser penser que l’émergence de ce hashtag soit le fait d’une opération de communication militante plus organisée qu’il n’y paraît, aucun autre élément ne nous permet d’argumenter en ce sens : gageons plutôt qu’il s’agisse là d’une déclaration de solidarité des organisateurs de la pétition vers l’internaute Call Me Wawa, et d’une volonté de se rapprocher de l’instigatrice du hashtag sur la base d’aspirations démocratiques communes.
D’après BuzzSumo, la page de la pétition a généré 934 engagements sur Facebook, un chiffre qui comprend pêle-mêle les réactions, les commentaires et les partages sur le réseau social. Une recherche avancée sur Facebook nous renvoie vers quelques posts Facebook de Sunu Vote, assez faiblement engagés, ce qui permet de présumer que l’essentiel des partages de cette pétition a lieu sur des groupes ou sur les profils des internautes.
Permettons-nous néanmoins de relever que 934 engagements sur Facebook, et à peine 8 000 signatures sur quatre mois, sont des volumes assez faibles qui pourraient bien relativiser l’enthousiasme autour du hashtag, et plus globalement de la mobilisation. Nous n’avons cependant pas accès à des données plus précises sur le volume de signatures au fil du temps, et s’il est permis de penser que le hashtag a eu un effet bénéfique sur cette pétition, nous ne pouvons pas le quantifier, mais simplement l’observer via des retombées indirectes.
En effet, la page Facebook de Sunu Vote annonçait le 12 et le 13 janvier que les chiffres respectifs de 4 000 et 5 000 signatures avaient été atteints, soit 4 jours après que le hashtag #SunuDébat fut lancé, ce qui atteste d’un certain dynamisme qu’il n’est pas interdit de corréler à l’agitation générée par le hashtag dans certaines twittosphères sénégalaises.
Vers la mise en place du débat ?
L’organisation du débat n’a pas attendu d’être avalisée par les autorités pour que les porteurs de l’initiative travaillent sur son ébauche. En effet, Awa Mbengue a publié le 15 janvier sur son compte @Call_Me_Wawa un thread récapitulant les principaux événements générés par le hashtag. Plus intéressant encore, ce thread présente également “la liste des principales personnes s’activant sur la toile et en dehors, pour la concrétisation de #SunuDebat”, en trois tweets. Chacun y a un ou plusieurs rôles, parfois partagés, dont la terminologie évoque le monde de l’entreprise.
On y retrouve les 6 principaux comptes que nous avions identifiés dans notre cartographie : @Call_Me_Wawa, évidemment, mais également @aliamsi, @LoMaCire, @abdourami, @djigane et @KaneBousso. Il est notable que si ces comptes étaient les plus visibles de notre cartographie, cette visibilité donne naissance à des responsabilités : ici, c’est bien leur activité en ligne, qui est mise en avant pour justifier les rôles de ces personnalités. Très intéressant exercice démocratique où popularité et responsabilités semblent aller de pair et qui nous invite à méditer sur le rôle joué par des comptes influents dans la logistique nécessaire pour transformer ce que d’aucuns appellent un buzz en événement hors-ligne, et plus globalement sur le pouvoir que peut conférer une audience.
Il ne s’agit cependant pas de quitter complètement le numérique, comme en témoigne la démarche d’@abdourami qui compte encore sur Twitter pour récolter questions et réactions des citoyens connectés :
Le hashtag semble quant à lui avoir pris son envol : il est désormais utilisé comme caisse de résonance dans l’écosystème sénégalais sur Twitter, à la fois par des candidats pour traiter de la campagne que par des acteurs nationaux sur des sujets complètement différents :
Candidats, médias, citoyens, tous sont à leur niveau touchés et plus ou moins mobilisés pour l’organisation d’un débat qui verrait s’affronter les différentes parties prenantes de l’élection présidentielle. Si tous les ingrédients semblent réunis, il reste à voir si Macky Sall se montrera sensible à l’initiative et saisira la balle au rebond pour instituer une innovation dans la démocratie sénégalaise : défendre son bilan et glaner quelques points de popularité.
Cependant, il semble plus crédible que le Président sénégalais s’abstienne de répondre à cette invitation : Twitter est un écosystème militant, dans lequel les opposants sont très actifs. Le Sénégal ne fait pas exception, en témoigne la présence centrale (et ainsi son influence dans les échanges) dans la cartographie de @LoMaCire, alias Kébétueuse, qui ne se cache pas d’être farouchement opposée à Macky Sall (elle affiche le hashtag #AntiMacky dans sa biographie). Dès lors, consentir à prendre part à un tel débat pourrait être vu comme une exposition inopportune. Macky Sall semble en position de force, sans Khalifa Sall ou Karim Wade en face de lui, tous deux inéligibles.
S’il apparaît que la participation de Macky Sall montrerait une certaine innovation dans la démocratie sénégalaise (choix stratégique, signe d’ouverture), le gain qu’en récolterait le Président sortant paraît minime au regard de son exposition et de sa place de favori — et la réponse de son ministre de la communication @elhadjkasse semble confirmer cette tendance, quoi qu’il ne ferme pas complètement la porte.
Mais le choix de sortir du rôle de Président pour enfiler le costume de candidat est souvent difficile à prendre, tout comme la défense d’un bilan semble plus complexe que d’en souligner les limites. La mobilisation en ligne et la reprise dans les médias ne sont pas encore suffisamment fortes pour forcer le Président à s’emparer de cette question : pour l’instant, tant qu’un “seuil critique” ne sera pas atteint, Macky Sall ne prendra peut-être pas ce risque…