Quelle perception de la Chine sur les réseaux sociaux en Afrique durant la pandémie ?

35° Nord et Afriques Connectées, laboratoire d’analyse des phénomènes viraux en œuvre sur les réseaux sociaux en Afrique, s’allient afin de couvrir et analyser les discussions sur les réseaux sociaux africains durant la pandémie du Covid-19. 

35° Nord et Afriques Connectées proposent une étude des discussions qui ont pris place lors de la pandémie de Covid-19  sur les réseaux sociaux africains ayant trait à la Chine et à ses actions sur le continent. 

Contexte de l’étude

Depuis le début de la pandémie mondiale, la Chine multiplie les opérations d’aide internationale en direction de plusieurs États dont de nombreux pays d’Afrique. 

Alors que les relations entre l’Empire du Milieu et le continent africain ne cessent de s’intensifier depuis plusieurs années, les récentes actions de la Chine, qualifiées de « diplomatie du masque » par certains, ont donné lieu à de nombreux commentaires sur les réseaux sociaux en Afrique. La gestion chinoise de la pandémie sur son territoire a également été l’objet de vives discussions en ligne, notamment sur le cas, très politique, d’expatriés africains confrontés au racisme dans plusieurs villes du pays. 

Comment réagissent les internautes africains aux actions chinoises sur leur continent ? Sont-ils les seuls à en débattre ? Quels sont les différents traits d’image de la Chine vis-à-vis des Africains en ligne ?
Un panel de réactions et publications sur Twitter et sur Facebook relatives à ces relations sino-africaines à l’heure de la pandémie de Covid-19 a été collecté entre le 6 mai et le 3 juin avec l’aide de la plateforme Visibrain, pour constituer le corpus de la présente étude.

Données analysées

Afriques Connectées a analysé près de 120 000 tweets postés sur Twitter entre le 6 mai et le 3 juin par plus de 47 000 comptes Twitter, qui ont ainsi généré plus de 2 milliards d’impressions
Les internautes engagés dans ces conversations ont été particulièrement actifs, on dénombre une moyenne de 2 tweets par internaute ayant publié un message et 2,5 RT par internaute, preuve d’une intense mobilisation des comptes.
Sur Facebook, ce sont plus de 6 500 publications postées par 3 800 pages qui ont été passées au crible. Si le  sujet des relations sino-africaines n’a suscité qu’un engagement relatif (un peu plus d’une centaine d’interactions par publication), il a en revanche drainé une visibilité très importante : près de 10 milliards d’impressions sur les posts évoquant les actions de la
Chine vis-à-vis de l’Afrique.

Une multiplicité d’acteurs prend part aux discussions relatives aux relations entre la Chine en l’Afrique : des comptes anonymes d’internautes africains au Président Donald Trump, les profils des acteurs qui se sont emparés de ce sujet sont réellement protéiformes

Analyse communautaire

Précisions méthodologiques  de la cartographie Twitter

Sur plus de 47 000 comptes ayant publié sur le sujet collectés, nous avons cartographié les 1 800 comptes les plus influents. La taille de ces comptes (nœuds) est proportionnelle à leur influence au sein des conversations (eigenvector centrality).

Les nœuds ont été répartis par proximité conversationnelle et relationnelle via le filtre statistique de Modularité (code couleur). Ces relations n’existent qu’à partir des tweets récupérés ici et non pas d’un historique relationnel. Les couleurs matérialisent chacune une communauté thématique.

Des acteurs multiples et protéiformes

Si une forte présence de comptes de médias chinois (comme @CGTNOfficial ou @XHNews) est à noter parmi les comptes à l’audience la plus importante, ces derniers présentent une influence toute relative au regard des faibles taux d’engagement générés par leurs tweets. 

Le sujet des relations sino-africaines est également fortement préempté par des comptes d’activistes ou militants africains reconnus en ligne, à l’image de @bonifacemwangi militant kenyan particulièrement engagé contre la corruption et dont les tweets ont été retweetés à plus de 1 500 reprises, ou encore le blogueur @gabrieloguda retweeté près de 900 fois.

Cartographie des 3 300 hashtags utilisés dans les tweets ayant trait aux conversations Chine-Afrique, regroupés par proximité conversationnelle et relationnelle (Modularité)

3 300 hashtags ont été utilisés par les internautes ayant pris part aux conversations sur Twitter. 

Le hashtag #ChinaIsNotOurProblem est l’un des hashtags les plus utilisés par les internautes africains pour évoquer les relations entre la Chine et l’Afrique, particulièrement au Nigeria. 

Le contexte de mobilisation mondiale contre les violences à l’encontre des Noirs trouve un écho particulier sur le continent, avec le hashtag #BlackLivesMatter fréquemment intégré aux tweets des internautes sur le sujet Chine-Afrique. 
#ChinaAfricaImpact, utilisé régulièrement et au long cours, permet de concentrer les conversations sur les initiatives chinoises en faveur du développement. Ce hashtag est principalement utilisé pour le Kenya et par des Kenyans.

Entre aide et mainmise de la Chine en Afrique

Aide de la Chine à l’Afrique : des avis partagés 

L’aide humanitaire et sanitaire apportée par la Chine sur le continent africain suscite des commentaires positifs mais également des doutes

Les autorités africaines ont, de leur côté, été promptes à remercier Pékin pour l’aide apportée à leurs pays. Du côté des populations, bien que les conversations ne soient pas polarisées entre deux visions manichéennes vis-à-vis de l’action de la Chine, certains internautes dénoncent les intentions cachées de cette dernière, masquées sous le vernis de la philanthropie

Ces attaques sont cependant contre-balancées par l’inaction, voire le désintérêt des autres grandes puissances mondiales, et notamment des USA qui, depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir, sont perçus comme désireux de se désengager, d’un point du vue économique, humanitaire mais aussi sécuritaire, de l’Afrique. 

Les médias chinois, comme China Xinhua News ou encore People’s Daily China, sont très actifs pour relayer les actions du pays en Afrique. Ils génèrent des taux d’engagements très importants, sans qu’il soit possible de localiser de façon exhaustive la provenance des interactions. Les internautes chinois sont toutefois nombreux à saluer ces initiatives en Afrique, notamment concernant la lutte contre le Covid-19, exaltant la fierté chinoise face à l’OMS ou encore les USA, et le rôle que la Chine doit jouer sur l’échiquier mondial. 

Méfiance envers la “bienveillance” de la Chine

La publication et l’annonce, par NTV Kenya, de l’ouverture d’une école financée par la Chine et dont les enseignements seront dispensés exclusivement en mandarin a généré des commentaires virulents, et un nombre de réactions “Angry / colère” très élevé, représentant plus de 10 % des réactions. 

Cependant l’expression de cette méfiance à l’égard de la Chine en Afrique doit être pondérée et nuancée. En effet, la Chine n’est pas l’unique puissance étrangère à être accusée de privilégier ses intérêts économiques et commerciaux sur le continent noir. Nombreuses sont les publications accusant la Chine, la Russie, les USA ainsi que l’Europe de vouloir s’accaparer le “gâteau africain”.

Le dirigeant de Texas Grillz a généré près de 4 000 likes, 800 partages et plus de 900 commentaires sur Facebook lorsqu’il dénonçait fin mai “l’hypocrisie ivoirienne et africaine” au sujet des critiques sur l’implantation d’activités économiques chinoises dans le pays et sur le continent. Au Kenya, des internautes s’inquiètent de l’influence toujours grandissante de la Chine sur l’économie du pays. D’autres affirment que “les Africains sont bien conscients des lacunes de l’assistance et des affaires chinoises en Afrique – du déséquilibre commercial à la dette lourde, des produits de mauvaise qualité aux pratiques de corruption”.

Les actions de la Chine au crible des internautes

La Chine est perçue comme l’un des bâtisseurs d’infrastructures les plus actifs sur le continent africain et notamment dans les pays anglophones de la côte est de l’Afrique (Kenya, Tanzanie). Cependant, la qualité des infrastructures érigées par l’Empire du Milieu sont souvent décriées pour leur qualité et durabilité. Le pont de Sigiri au Kenya qui s’est effondré en 2017, deux semaines après son inauguration, constitue encore aujourd’hui un élément d’image prégnant pour mettre en cause les réalisations chinoises sur le continent. 

Par ailleurs, la Chine est fortement accusée de réaliser des infrastructures à dessein, dans le but de développer et nourrir sa politique de renseignement. Ce trait d’image est une constante de la perception de l’action chinoise depuis 2018 et l’espionnage informatique du siège de l’UA à Addis-Abeba (Le Monde, janvier 2018). Ces sujets génèrent très régulièrement de forts taux d’engagement sur les réseaux sociaux, provenant d’Afrique mais aussi du monde entier.

Actions chinoises et résurgence de problèmes internes aux pays d’Afrique

L’aide humanitaire et sanitaire apportée par la Chine sur le continent génère des crispations liées à la gouvernance et à la gestion propre à chaque pays. Ainsi les annonces du Ministère de la Santé Publique du Cameroun sur l’aide sanitaire chinoise ont suscité de vives et nombreuses critiques liées à la corruption des autorités et la redistribution aux populations des matériels et des dons. 
Au Nigéria, les actions et plus globalement l’influence de la Chine peuvent susciter et exacerber les tensions “ethniques”. En effet, certains internautes nigérians génèrent d’important taux d’engagements lorsqu’ils dénoncent les collusions de l’ethnie historiquement au pouvoir, qu’ils accusent parfois frontalement de brader la souveraineté nationale à la Chine, au bénéfice du clan au pouvoir.

Réaffirmation de la souveraineté des Etats

En Côte d’Ivoire, la rumeur de l’arrivée de 60 voyageurs chinois qui auraient pu entrer mi-mars sans être ni testé ni mis en quarantaine avait fait grand bruit sur les réseaux sociaux, alors que les premières mesures fermes, dont la fermeture des frontières, avaient été prises par les autorités. Une situation similaire au Kenya a également suscité de massifs partages et dénonciations d’un statut privilégié accordé aux arrivants chinois. 

Au Rwanda, la décision du Président Paul Kagamé de renvoyer 18 Chinois a été massivement saluée sur des pages panafricaines et d’actualités généralistes.
Il est tout de même notable que ces dénonciations provenant des internautes africains ne font pas l’objet d’une expression xénophobe à l’égard des Chinois. Elles renvoient davantage à une demande d’affirmation de souveraineté et d’indépendance des États ou des institutions africaines, ou plus largement d’une égalité de traitement.

L’Inde, nouveau concurrent de la Chine sur le continent africain ?

Le continent africain est au centre des convoitises des puissances étrangères. Les difficultés que la Chine pourrait présenter dans le développement de ses activités en Afrique constituent des opportunités pour d’autres. 
Les médias et réseaux sociaux indiens évoquent régulièrement les failles et fébrilités chinoises en Afrique ouvrent des perspectives à la deuxième grande puissance asiatique pour mettre en place et développer des nouveaux partenariats avec le continent africain, au regard de l’expérience chinoise de laquelle tirer des enseignements.

La question du racisme de la Chine envers les Africains

Mobilisation #BlacksInChina pour les Africains maltraités en Chine

Le sujet du racisme envers les Africains constitue un axe de visibilité prégnant concernant la Chine, ravivé durant la pandémie de Covid-19. Sur les réseaux sociaux, les témoignages et vidéos affluent, provenant des médias (BBC News Africa), de comptes d’actualités généralistes africaines (Africa Facts Zone) ou d’internautes lambda, dénonçant avec fermeté le sort réservé aux ressortissants africains en Chine. Ces derniers ont été mis en quarantaine de force, aspergés de désinfectant à l’entrée des magasins, sans pouvoir être autorisés à y entrer. 

Portées par les hashtags #BlacksInChina et #BlackChina, utilisés à eux seuls à plus de 8 300 reprises, ces dénonciations ont pris davantage d’ampleur avec le contexte mondial des violences contre les Noirs. Dès lors, est observable une convergence avec le mouvement #BlacksLivesMatter. 

Malgré la virulence et la légitimité de ces dénonciations, aucune prise de parole xénophobe provenant d’un internaute africain n’a suscité de reprises massives à l’égard des autorités et populations chinoises. La xénophobie ne semble pas faire partie des ripostes et critiques africaines contre les Chinois.

Réponses africaines au racisme chinois

Plusieurs officiels africains sont montés au créneau à la suite de la diffusion sur les réseaux sociaux de vidéos des mauvais traitements infligés à leurs compatriotes sur le territoire chinois. 

Le 9 avril dernier, le Ministère des Affaires étrangères du Nigeria a sollicité un entretien avec l’Ambassadeur chinois au Nigeria lors duquel il a demandé une intervention immédiate de Pékin

L’Union Africaine a également réagi, dans un communiqué publié sur ses comptes sociaux, affirmant que “l’Afrique valorise sa relation avec la Chine, mais pas à n’importe quel prix”. 
Malgré ces réponses diplomatiques, les internautes africains restent nombreux à estimer les réactions de leurs autorités trop timides pour condamner et s’opposer à ces traitements, l’influence et la mainmise de la Chine sur les politiques intérieures en lame de fond.

L’instrumentalisation du racisme envers les Africains au cœur des relations internationales

La question du racisme chinois envers les Africains, si elle a d’abord été restreinte à l’Afrique, a rapidement dépassé les frontières du continent pour se muer en véritable alibi pour mener une bataille d’image et d’influence entre les puissances américaines et chinoises par prises de parole diplomatiques interposées. 

Les États-Unis se sont, dès les prémices de la crise, engouffrés dans la brèche. Alors que le porte-parole du département d’Etat américain déplorait un partenariat creux entre la Chine et l’Afrique, mis en exergue par les mauvais traitements infligés aux Africains sur le territoire chinois, le Président Trump a été jusqu’à saisir le cas du racisme de la Chine à l’encontre des Africains pour justifier sa décision de retirer son pays de l’Organisation Mondiale de la Santé

En plein contexte des manifestations “Black Lives Matter” aux États-Unis, la Chine a publié un communiqué pour dénoncer la maladie chronique du racisme américain, suscitant les railleries des internautes africains qui relèvent l’ironie de la situation en mettant en parallèle le cas de leurs compatriotes durant confrontés au racisme chinois. 
Tandis que les Etats-Unis et la Chine se livrent cette bataille d’influence, des autorités africaines comme Paul Kagame et Moussa Faki Mahamat élèvent la voix et appellent à recentrer l’attention sur la gestion de la crise.

Le pangolin comme symbole de l’exploitation de la biodiversité africaine

La Chine mise en cause pour son exploitation de l’environnement africain

L’activité d’exploitation des ressources issues de la biodiversité africaine par la Chine constitue un vif levier de critique par les internautes africains, comme par des internautes venant du monde entier. 

Cela vient du fait que la majeure partie des publications sur le sujet est issue de pages environnementales non africaines. Au Ghana, c’est l’exploitation de la bauxite par la Chine qui suscite l’ire des internautes du pays. 

La Chine n’est cependant pas l’unique pays visé par les critiques : plus globalement les internautes de tous pays dénoncent les méfaits du capitalisme, de son activité extractrice et mettent en cause la société de consommation, ainsi que le rôle des Etats-Unis dans cette tendance. 
National Geographic a publié début juin un article affirmant que la Chine  avait retiré de la liste 2020 des médicaments traditionnels approuvés par les autorités dont “les écailles de pangolin, figurant dans la pharmacopée du pays depuis des décennies”, animal soupçonné d’être à l’origine de la diffusion de la pandémie de Covid-19. Ces cinq dernières années, 90 % des 62 tonnes de pangolins saisis à Hongkong provenaient du Nigeria.

Le respect des animaux en toile de fond des critiques à l’encontre de la Chine

De nombreux tweets, au début du mois de juin, publiés avec le hashtag #CorruptChineseDonkeyDeals dénoncent avec virulence le sort réservé aux ânes africains : “La Chine ayant tué presque tous ses ânes a recouru à l’importation de l’animal d’Afrique. Les ânes sont volés au Kenya et stockés dans les conditions les plus horribles avant d’être abattus.”
D’autres rappellent que de nombreux pays africains ont pris la décision de stopper l’exportation des ânes africains vers la Chine et encouragent les autorités de leur pays à en faire autant et notamment le Kenya qui semble le pays africain le plus touchés par ces agissements. L’ONG de protection de la cause animale PETA s’est elle-même engagée sur le sujet en lançant une pétition.

En résumé

Les discussions sur les actions de la Chine dans les pays africains suscitent des débats passionnés, nuancés, éloignés d’une vision polarisée ou manichéenne. Les actions d’aide matérielle et médicale chinoise en Afrique sont saluées en ligne, en particulier par les autorités africaines, toutefois la mainmise de la Chine sur les économies africaines et plus particulièrement la faiblesse des souverainetés du continent constituent des axes de visibilité majeurs sur cette thématique. 

Malgré les efforts déployés par la Chine sur le continent, les internautes africains ne semblent que peu goûter à la philanthropie chinoise, dont ils doutent de la sincérité désintéressée, en attestent l’utilisation massive de l’emoji de réaction “angry” sur Facebook (6% des réactions enregistrées sur les posts) et les différents hashtags de mobilisation panafricaine en défense des diverses offensives de la Chine. La condamnation des actes racistes des Chinois à l’égard des Africains est ainsi l’un des leviers premiers de visibilité, décuplé par le contexte mondial. Ce racisme, instrumentalisé, est devenu un véritable alibi à la bataille d’image que se mènent Chine et États-Unis. 

L’exploitation de la biodiversité africaine par des entreprises chinoises est par ailleurs un trait d’image non-négligeable de la Chine en Afrique, un sujet porté par des internautes du monde entier. 
Avec la pandémie, la Chine renforce son travail d’influence et de soft power, en s’appuyant notamment via son secteur privé comme la Fondation Jack Ma (très active dans la fourniture de matériel de lutter contre la pandémie en Afrique), mais également sur les réseaux sociaux. Depuis le début du mois de juin, la Fondation Jack Ma s’entoure d’influenceurs africains pour trouver des relais à son discours et polir son image auprès de la jeunesse connectée d’Afrique.

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