#SunuDébat : la twittosphère arrivera-t-elle à imposer un débat inédit au Sénégal ?

Comme pour l’élection de 2012, pendant laquelle le Sénégal avait fait figure de leader dans le domaine des civic tech en Afrique en lançant la plateforme citoyenne de suivi de la campagne électorale #Sunu2012, les internautes sénégalais condensent depuis quelques mois les tweets relatifs à l’élection de 2019 avec le hashtag #Sunu2019 (plus de 7 500 tweets au cours des 30 derniers jours). Mais c’est un autre hashtag qui mobilise la twittosphère sénégalaise ces derniers jours : #SunuDébat. Celui-ci est présent dans plus de 21 000 tweets une dizaine de jours après sa première apparition, le 8 janvier.

L’idée portée par le hashtag d’inviter les candidats à l’élection présidentielle à s’affronter lors d’un débat télévisé est lancée par @Call_Me_Wawa, qui interpelle directement le Président du Sénégal sur le sujet, dans un tweet retweeté à plus de 600 reprises.

Cet appel a été suivi très rapidement par la twittosphère sénégalaise, l’une des plus actives et influentes de la sous-région voire du continent africain, avec notamment l’influent activiste @aliamsi (23.5 K abonnés).

L’organisation d’un débat en vue de l’élection présidentielle serait une première pour le Sénégal, une démarche également très marginale voire inexistante pour un pays de la sous-région.

Macky Sall, candidat à sa propre succession a cultivé pendant l’ensemble de son mandat l’image d’un Président réformateur et novateur. La posture du Président candidat quant à cette opportunité de saisir cette démarche et de se soumettre à un débat semble pourtant constituer davantage une prise de risque qu’une sinécure, tant la virulence des candidats d’opposition à son égard se fait pesante.

Afriques Connectées s’est penchée sur le hashtag #SunuDébat, de son apparition à sa médiatisation en passant par la mobilisation citoyenne qu’il suscite, à travers l’analyse et la cartographie de 16 217 tweets émis avec les hashtags #SunuDébat et #Sunu2019 entre le 3 et le 13 janvier.

Des candidats à l’écoute

En quelques heures, le tweet atteint le Ministre en charge de la communication présidentielle, El Hadj Hamidou Kassé, qui indique que les conditions ne sont pas réunies pour la mise en place d’un débat à ses yeux. A la suite de cet échange, @Call_Me_Wawa annonce le lancement du hashtag #SunuDébat :

Si la jeune étudiante est parvenue à échanger avec l’équipe de Macky Sall, ce n’est véritablement qu’à partir du relai de l’initiative par @aliamsi que celle-ci connaît un réel essor, notamment auprès des candidats. Ce dernier invite l’ensemble des candidats à se prononcer sur l’initiative :

Et cette démarche s’est avérée fructueuse : le premier candidat à signifier sa volonté de participer à un tel débat est Madické Niang, en réponse directe, puis viennent les réponses d’Ousmane Sonko, de Khalifa Sall (dont la candidature a depuis été écartée par le Conseil Constitutionnel), et d’Issa Sall.

Cette cartographie des 1 165 comptes les plus actifs sur Twitter avec les expressions #SunuDébat et #Sunu2019 retrace très bien l’historique de ce phénomène, et la manière dont le hashtag #SunuDébat a circulé sur les réseaux. On constate nettement l’influence du compte @Call_Me_Wawa qui fédère une large audience autour du hashtag qu’elle a lancé le 8 janvier. Du fait d’un rythme de publication soutenu (103 tweets uniques publiés avec ce hashtag depuis ce compte), pour commenter et soutenir la dynamique du hashtag, ce compte fédère une large communauté (ici représentée en jaune). Néanmoins, c’est le soutien de Papa Ismaïla Dieng (@aliamsi) qui relaie le hashtag le 9 janvier dans un tweet qui sera le plus partagé sur la période (362 retweets) qui permet d’augmenter la visibilité et l’écho de cette démarche. Le bloggeur aux plus de 23 000 followers mentionne les principaux candidats dans son message, qui gagnent de facto en visibilité à mesure que le message est relayé. @Aliamsi, de par sa visibilité et sa légitimité sur le web mais également en dehors (le journaliste est notamment membre des Africtivistes dont nous parlions dans un précédent billet), bénéficie d’une telle capacité de résonance, et donc de potentielles de connexions, qu’il génère une communauté à part, verte sur notre carte.

Entre ces deux communautés, plusieurs comptes relayent le hashtag afin de défendre le projet. On y retrouve notamment le compte @LoMaCire qui publie près de 34 tweets uniques avec le hashtag dont un thread passionné. La disparité des interactions suscitées par ce compte (lien rouge) à plus de 25 000 abonnés, montre son utilité pour exporter le débat hors des deux communautés déjà étudiées et traditionnellement investies sur les sujets politiques.

Remarquons enfin trois autres comptes d’importance, tant par leurs publications que par leurs mentions visibles sur cette cartographie : @djigane et @adbourami, comptes influents de la communauté jaune, et @KaneBousso pour la communauté verte. Il s’agit de comptes relais avec une forte capacité de soutien dans la circulation des messages. Mais la visibilité de ces comptes s’explique également par le rôle que tiendraient leurs propriétaires dans l’organisation du #SunuDébat, à moins que ça ne soit l’inverse comme nous le verrons plus tard.

Des médias impliqués

Dans un premier temps restreint aux réseaux sociaux, le hashtag #SunuDébat est rapidement repéré par les médias. Prompts à relayer les initiatives et débats nés sur les réseaux sociaux, les médias nationaux sont les premiers à couvrir (MétroDakar publie un article le jour-même, suivi par DakarActu, PressAfrik, SeneNews, …) ; les médias internationaux ne tardent pas à leur emboîter le pas (Africa Post NewsRFIJeune Afrique qui publie également une tribune de @Call_Me_Wawa).

Presse papier (citons notamment L’Observateur, quotidien le plus lu au Sénégal), radio et télévision ne sont pas en reste, ce que ne manque pas de relever l’initiatrice du hashtag dans une volonté d’amplifier la visibilité des différentes retombées presse générées par son initiative et d’asseoir la légitimité de celle-ci aux yeux du monde journalistique :

Au-delà d’un relai de l’initiative, certains médias se sont prononcés en faveur de la tenue d’un tel débat présidentiel. Le site d’information Dakarflash appelle ainsi la profession à soutenir l’initiative :

Quant à elle, la chaîne privée 2STV va jusqu’à proposer d’héberger le débat sur ses ondes.

Des citoyens mobilisés ?

Heureuse bénéficiaire de cet intérêt en ligne, la pétition lancée il y a quatre mois par la “plateforme de démocratie participative” sénégalaise Sunu Vote connaît un regain de popularité sur la période étudiée : 280 tweets partagent le lien vers cette pétition qui n’a cependant toujours pas encore dépassé le palier symbolique des 10 000 signatures : 7 887 signatures sont relevées au moment où nous écrivons ce texte (alors même que nous avons relevé plus de 16 000 tweets sur une semaine).

Sunu Vote se félicite d’ailleurs de la popularité du sujet grâce au hashtag dans un billet publié sur Change.org. Les auteurs félicitent l’initiatrice du hashtag et déclarent être les “partenaire[s]” de cette initiative. Si cette tournure pourrait laisser penser que l’émergence de ce hashtag soit le fait d’une opération de communication militante plus organisée qu’il n’y paraît, aucun autre élément ne nous permet d’argumenter en ce sens : gageons plutôt qu’il s’agisse là d’une déclaration de solidarité des organisateurs de la pétition vers l’internaute Call Me Wawa, et d’une volonté de se rapprocher de l’instigatrice du hashtag sur la base d’aspirations démocratiques communes.

D’après BuzzSumo, la page de la pétition a généré 934 engagements sur Facebook, un chiffre qui comprend pêle-mêle les réactions, les commentaires et les partages sur le réseau social. Une recherche avancée sur Facebook nous renvoie vers quelques posts Facebook de Sunu Vote, assez faiblement engagés, ce qui permet de présumer que l’essentiel des partages de cette pétition a lieu sur des groupes ou sur les profils des internautes.

Permettons-nous néanmoins de relever que 934 engagements sur Facebook, et à peine 8 000 signatures sur quatre mois, sont des volumes assez faibles qui pourraient bien relativiser l’enthousiasme autour du hashtag, et plus globalement de la mobilisation. Nous n’avons cependant pas accès à des données plus précises sur le volume de signatures au fil du temps, et s’il est permis de penser que le hashtag a eu un effet bénéfique sur cette pétition, nous ne pouvons pas le quantifier, mais simplement l’observer via des retombées indirectes.

En effet, la page Facebook de Sunu Vote annonçait le 12 et le 13 janvier que les chiffres respectifs de 4 000 et 5 000 signatures avaient été atteints, soit 4 jours après que le hashtag #SunuDébat fut lancé, ce qui atteste d’un certain dynamisme qu’il n’est pas interdit de corréler à l’agitation générée par le hashtag dans certaines twittosphères sénégalaises.

Vers la mise en place du débat ?

L’organisation du débat n’a pas attendu d’être avalisée par les autorités pour que les porteurs de l’initiative travaillent sur son ébauche. En effet, Awa Mbengue a publié le 15 janvier sur son compte @Call_Me_Wawa un thread récapitulant les principaux événements générés par le hashtag. Plus intéressant encore, ce thread présente également “la liste des principales personnes s’activant sur la toile et en dehors, pour la concrétisation de #SunuDebat”, en trois tweets. Chacun y a un ou plusieurs rôles, parfois partagés, dont la terminologie évoque le monde de l’entreprise.

On y retrouve les 6 principaux comptes que nous avions identifiés dans notre cartographie : @Call_Me_Wawa, évidemment, mais également @aliamsi, @LoMaCire, @abdourami, @djigane et @KaneBousso. Il est notable que si ces comptes étaient les plus visibles de notre cartographie, cette visibilité donne naissance à des responsabilités : ici, c’est bien leur activité en ligne, qui est mise en avant pour justifier les rôles de ces personnalités. Très intéressant exercice démocratique où popularité et responsabilités semblent aller de pair et qui nous invite à méditer sur le rôle joué par des comptes influents dans la logistique nécessaire pour transformer ce que d’aucuns appellent un buzz en événement hors-ligne, et plus globalement sur le pouvoir que peut conférer une audience.

Il ne s’agit cependant pas de quitter complètement le numérique, comme en témoigne la démarche d’@abdourami qui compte encore sur Twitter pour récolter questions et réactions des citoyens connectés :

Le hashtag semble quant à lui avoir pris son envol : il est désormais utilisé comme caisse de résonance dans l’écosystème sénégalais sur Twitter, à la fois par des candidats pour traiter de la campagne que par des acteurs nationaux sur des sujets complètement différents :

Candidats, médias, citoyens, tous sont à leur niveau touchés et plus ou moins mobilisés pour l’organisation d’un débat qui verrait s’affronter les différentes parties prenantes de l’élection présidentielle. Si tous les ingrédients semblent réunis, il reste à voir si Macky Sall se montrera sensible à l’initiative et saisira la balle au rebond pour instituer une innovation dans la démocratie sénégalaise : défendre son bilan et glaner quelques points de popularité.

Cependant, il semble plus crédible que le Président sénégalais s’abstienne de répondre à cette invitation : Twitter est un écosystème militant, dans lequel les opposants sont très actifs. Le Sénégal ne fait pas exception, en témoigne la présence centrale (et ainsi son influence dans les échanges) dans la cartographie de @LoMaCire, alias Kébétueuse, qui ne se cache pas d’être farouchement opposée à Macky Sall (elle affiche le hashtag #AntiMacky dans sa biographie). Dès lors, consentir à prendre part à un tel débat pourrait être vu comme une exposition inopportune. Macky Sall semble en position de force, sans Khalifa Sall ou Karim Wade en face de lui, tous deux inéligibles.

S’il apparaît que la participation de Macky Sall montrerait une certaine innovation dans la démocratie sénégalaise (choix stratégique, signe d’ouverture), le gain qu’en récolterait le Président sortant paraît minime au regard de son exposition et de sa place de favori — et la réponse de son ministre de la communication @elhadjkasse semble confirmer cette tendance, quoi qu’il ne ferme pas complètement la porte.

Mais le choix de sortir du rôle de Président pour enfiler le costume de candidat est souvent difficile à prendre, tout comme la défense d’un bilan semble plus complexe que d’en souligner les limites. La mobilisation en ligne et la reprise dans les médias ne sont pas encore suffisamment fortes pour forcer le Président à s’emparer de cette question : pour l’instant, tant qu’un “seuil critique” ne sera pas atteint, Macky Sall ne prendra peut-être pas ce risque…

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