Un Président à la communication millimétrée. Une stratégie de rayonnement international savamment pensée. Mais sur les réseaux sociaux monte une colère qui se structure en campagne de dénigrement de l’image du pays. Hors de tout contrôle, une parole contestataire émerge en ligne depuis quelques semaines contre des actions présumées et des jeux d’influence du Rwanda chez son voisin congolais. Retour sur ce caillou dans la chaussure vernie de Kigali.
Rwanda : une nouvelle image attractive
Sous l’impulsion de son Président, le Rwanda cherche à imposer depuis plusieurs années l’image d’un pays dynamique, fer de lance en matière de technologie, une “start-up nation” qui attire les investisseurs internationaux. Paul Kagame, dont l’image est aussi sérieuse qu’inflexible, demeure peu inquiété par la communauté internationale ou les médias sur sa gouvernance jugée autoritaire et les violations des droits humains imputées aux autorités, du haut de ses 22 ans de mandature.
Le soft power rwandais est protéiforme. À la tête du Commonwealth et de la Francophonie en la personne de Louise Mushikiwabo, le Rwanda multiplie les opérations d’influence à l’international.
La “marque Rwanda” en est un des leviers principaux : le pays promeut une image haut de gamme, au service de la protection de la nature et notamment des gorilles, à travers sa stratégie touristique “Visit Rwanda”. Dans le cadre de cette campagne, Kigali a noué des partenariats de sponsoring avec de grands clubs de football européen comme le PSG et Arsenal. Les partenariats entre les clubs et le Rwanda visent à mettre en avant les atouts du pays en matière d’économie, de tourisme et de sécurité. Le contrat avec le PSG a notamment connu un lancement en grande pompe appuyé par la présence de nombreuses personnalités politico-médiatiques franco-rwandaises. Le Rwanda vise par ailleurs à être considéré comme le hub technologique d’Afrique, fort d’un environnement des affaires favorable et de mesures propices à l’éclosion de nombreuses start-ups.
Mais le Nation branding du pays aux mille collines fait face depuis plusieurs mois à un mouvement de dénigrement venu d’internautes congolais qui entendent mettre à mal son image à l’international.
À la stratégie #VisitRwanda s’oppose la campagne spontanée #RwandaIsKilling
Si Paul Kagame orchestre d’une main de maître sa communication et le soft power de son pays, il est une chose qui lui est impossible de maîtriser : la parole sur les réseaux sociaux, d’autant plus hors des frontières nationales.
Depuis plusieurs semaines, une crise diplomatique gronde entre le Rwanda et la République démocratique du Congo, qui s’inscrit dans une histoire longue de conflits entre les deux pays. Les autorités congolaises accusent leur voisin de soutenir le M23, mouvement rebelle qui a repris de l’activité dans l’Est du pays, ce dont se défend Kigali. Les tensions montent des deux côtés de la frontière. Le 29 mai, le Président sénégalais Macky Sall, Président en exercice de l’Union africaine, appelle les deux pays au calme dans un tweet posté sur son compte.
Je suis gravement préoccupé par la montée de la tension entre le Rwanda et la RDC.J’appelle les deux pays au calme et au dialogue pour la résolution pacifique de la crise avec le soutien des mécanismes régionaux et de l’Union Africaine.
— Macky Sall (@Macky_Sall) May 29, 2022
Mais si les deux pays déroulent leur posture respective par prises de parole médiatiques et communiqués interposés, une seule vision de la situation émerge sur les réseaux sociaux.
Plus de 360 000 tweets ont été émis sur les relations entre Kigali et Kinshasa entre le 29 mai et le 28 juin, dont 117 000 contiennent le hashtag très univoque #RwandaIsKilling. Le sujet a connu un pic de visibilité les 14 et 15 juin (30 000 et 13 500 tweets/jour), journées de mobilisation digitale et physique de nombreux Congolais pour faire part de leurs inquiétudes et revendications.
Quiconque a parcouru les commentaires sous les derniers tweets du compte du Paris Saint-Germain a pu s’en rendre compte : le club de football français est systématiquement ciblé par des tweets d’internautes congolais l’accusant de soutenir les exactions du régime rwandais. Tous contiennent le même message, accompagné de visuels explicits : #RwandaIsKilling, #DontVisitRwanda. Chaque publication du club reçoit ainsi son lot de réponses véhémentes.
La campagne #RwandaIsKilling a émergé de façon coordonnée, déployée spontanément par une kyrielle de comptes authentiques souhaitant défendre leur cause. Ces comptes entreprennent un activisme digital qui s’apparente à une véritable campagne de terrain, portés par la volonté d’attirer l’attention sur leurs revendications, en s’attaquant directement et systématiquement aux canaux de communication des influents partenaires de visibilité du Rwanda.
L’objectif de ce modus operandi est double pour ces e-militants : alerter l’opinion publique internationale et mobiliser en vue de faire pression sur les partenaires du Rwanda pour mettre à mal ces contrats de sponsoring. Le tout pour affaiblir son soft power et susciter une réaction internationale ou du Rwanda lui-même.
Un détournement des codes
Parmi les éléments les plus relayés, des visuels détournant subtilement et astucieusement les principaux symboles de la campagne nationale “Visit Rwanda”. Sa charte graphique est récupérée, ses messages détournés, ses ambassadeurs sont, eux, interpellés avec insistance. Les visuels sont léchés, donnant à croire à une campagne de communication officielle et provoquant une confusion avec les vrais supports diffusés par le Rwanda et ses partenaires. La campagne entretient volontairement le doute, contrairement à d’autres mobilisations digitales sur le continent, comme #JeSuisBeni ou #CongoIsBleeding, l’opération #RwandaIsKilling ne diffuse aucune photo d’exactions, de victimes. Elle joue avec les codes du marketing pour mieux faire passer son message, s’épargnant du même coup une possible modération de la part des plateformes de réseaux sociaux pour contenu violent.
Reprenant et détournant l’ensemble des codes graphiques des images produites par les partenaires, les contenus circulent largement dans les communautés de fans très engagées sur les réseaux sociaux, elles qui sont de vraies parties prenantes de la réputation en ligne et hors ligne de leur club.
Un autre narratif avec lequel Kigali devra composer
Bien que cette campagne de subvertising digital n’ait pas réussi à mettre un terme aux partenariats de visibilité majeurs du pays – mais était-ce réellement son but ou s’agissait-il davantage de soulever la situation aux yeux du monde ? – elle constitue une véritable épine dans le pied de la “marque Rwanda”.
La force de cette opération de sape de l’image du Rwanda est qu’elle ne dépend désormais que très peu de l’actualité. Depuis son lancement en réaction à des soubresauts dans les relations déjà tendues entre les deux pays, elle agit comme un signal faible, une lame de fond dans les conversations sur les réseaux sociaux.
Atemporelle, cette campagne est également durable puisqu’elle se nourrit des éléments de soft power déployés par le Rwanda. Tout prochain partenariat de visibilité sera ainsi détourné à l’envi par ces activistes dont les mécanismes d’alerte et d’interpellation élargiront la visibilité à de nouvelles audiences, voire à l’attention médiatique – un risque d’image important pour Kigali.