Des centaines de personnes sont descendues vendredi dans les rues de plusieurs grandes villes du Nigeria pour protester contre les violences policières, au lendemain de violences ayant fait deux morts dans le Sud.
La contestation est née sur les réseaux sociaux après la diffusion d’une vidéo montrant des agents présumés de la Brigade spéciale de répression des vols (SARS) tuant un homme à Ughelli, dans l’Etat du Delta (sud).
35° Nord et Afriques Connectées, laboratoire d’analyse des phénomènes viraux en œuvre sur les réseaux sociaux en Afrique, s’allient afin de couvrir et analyser les discussions sur les réseaux sociaux africains durant la pandémie du Covid-19.
35° Nord et Afriques Connectées proposent une étude des discussions qui ont pris place lors de la pandémie de Covid-19 sur les réseaux sociaux africains ayant trait à la Chine et à ses actions sur le continent.
Contexte de l’étude
Depuis le début de la pandémie mondiale, la Chine multiplie les opérations d’aide internationale en direction de plusieurs États dont de nombreux pays d’Afrique.
Alors que les relations entre l’Empire du Milieu et le continent africain ne cessent de s’intensifier depuis plusieurs années, les récentes actions de la Chine, qualifiées de « diplomatie du masque » par certains, ont donné lieu à de nombreux commentaires sur les réseaux sociaux en Afrique. La gestion chinoise de la pandémie sur son territoire a également été l’objet de vives discussions en ligne, notamment sur le cas, très politique, d’expatriés africains confrontés au racisme dans plusieurs villes du pays.
Comment réagissent les internautes africains aux actions chinoises sur leur continent ? Sont-ils les seuls à en débattre ? Quels sont les différents traits d’image de la Chine vis-à-vis des Africains en ligne ? Un panel de réactions et publications sur Twitter et sur Facebook relatives à ces relations sino-africaines à l’heure de la pandémie de Covid-19 a été collecté entre le 6 mai et le 3 juin avec l’aide de la plateforme Visibrain, pour constituer le corpus de la présente étude.
Données analysées
Afriques Connectées a analysé près de 120 000 tweets postés sur Twitter entre le 6 mai et le 3 juin par plus de 47 000 comptes Twitter, qui ont ainsi généré plus de 2 milliards d’impressions. Les internautes engagés dans ces conversations ont été particulièrement actifs, on dénombre une moyenne de 2 tweets par internaute ayant publié un message et 2,5 RT par internaute, preuve d’une intensemobilisation des comptes.
Sur Facebook, ce sont plus de 6 500 publications postées par 3 800 pages qui ont été passées au crible. Si le sujet des relations sino-africaines n’a suscité qu’un engagement relatif (un peu plus d’une centaine d’interactions par publication), il a en revanche drainé une visibilité très importante : près de 10 milliards d’impressions sur les posts évoquant les actions de la Chine vis-à-vis de l’Afrique.
Une multiplicité d’acteurs prend part aux discussions relatives aux relations entre la Chine en l’Afrique : des comptes anonymes d’internautes africains au Président Donald Trump, les profils des acteurs qui se sont emparés de ce sujet sont réellement protéiformes.
Analyse communautaire
Précisions méthodologiques de la cartographie Twitter
Sur plus de 47 000 comptes ayant publié sur le sujet collectés, nous avons cartographié les 1 800 comptes les plus influents. La taille de ces comptes (nœuds) est proportionnelle à leur influence au sein des conversations (eigenvector centrality).
Les nœuds ont été répartis par proximité conversationnelle et relationnelle via le filtre statistique de Modularité (code couleur). Ces relations n’existent qu’à partir des tweets récupérés ici et non pas d’un historique relationnel. Les couleurs matérialisent chacune une communauté thématique.
Des acteurs multiples et protéiformes
Si une forte présence de comptes de médias chinois (comme @CGTNOfficial ou @XHNews) est à noter parmi les comptes à l’audience la plus importante, ces derniers présentent une influence toute relative au regard des faibles taux d’engagement générés par leurs tweets.
Le sujet des relations sino-africaines est également fortement préempté par des comptes d’activistes ou militants africains reconnus en ligne, à l’image de @bonifacemwangi militant kenyan particulièrement engagé contre la corruption et dont les tweets ont été retweetés à plus de 1 500 reprises, ou encore le blogueur @gabrieloguda retweeté près de 900 fois.
Cartographie des 3 300 hashtags utilisés dans les tweets ayant trait aux conversations Chine-Afrique, regroupés par proximité conversationnelle et relationnelle (Modularité)
3 300 hashtags ont été utilisés par les internautes ayant pris part aux conversations sur Twitter.
Le hashtag #ChinaIsNotOurProblem est l’un des hashtags les plus utilisés par les internautes africains pour évoquer les relations entre la Chine et l’Afrique, particulièrement au Nigeria.
Le contexte de mobilisation mondiale contre les violences à l’encontre des Noirs trouve un écho particulier sur le continent, avec le hashtag #BlackLivesMatter fréquemment intégré aux tweets des internautes sur le sujet Chine-Afrique. #ChinaAfricaImpact, utilisé régulièrement et au long cours, permet de concentrer les conversations sur les initiatives chinoises en faveur du développement. Ce hashtag est principalement utilisé pour le Kenya et par des Kenyans.
Entre aide et mainmise de la Chine en Afrique
Aide de la Chine à l’Afrique : des avis partagés
L’aide humanitaire et sanitaire apportée par la Chine sur le continent africain suscite des commentaires positifs mais également des doutes.
Les autorités africaines ont, de leur côté, été promptes à remercier Pékin pour l’aide apportée à leurs pays. Du côté des populations, bien que les conversations ne soient pas polarisées entre deux visions manichéennes vis-à-vis de l’action de la Chine, certains internautes dénoncent les intentions cachées de cette dernière, masquées sous le vernis de la philanthropie.
Ces attaques sont cependant contre-balancées par l’inaction, voire le désintérêt des autres grandes puissances mondiales, et notamment des USA qui, depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir, sont perçus comme désireux de se désengager, d’un point du vue économique, humanitaire mais aussi sécuritaire, de l’Afrique.
Les médias chinois, comme China Xinhua News ou encore People’s Daily China, sont très actifs pour relayer les actions du pays en Afrique. Ils génèrent des taux d’engagements très importants, sans qu’il soit possible de localiser de façon exhaustive la provenance des interactions. Les internautes chinois sont toutefois nombreux à saluer ces initiatives en Afrique, notamment concernant la lutte contre le Covid-19, exaltant la fierté chinoise face à l’OMS ou encore les USA, et le rôle que la Chine doit jouer sur l’échiquier mondial.
Méfiance envers la “bienveillance” de la Chine
La publication et l’annonce, par NTV Kenya, de l’ouverture d’une école financée par la Chine et dont les enseignements seront dispensés exclusivement en mandarin a généré des commentaires virulents, et un nombre de réactions “Angry / colère” très élevé, représentant plus de 10 % des réactions.
Cependant l’expression de cette méfiance à l’égard de la Chine en Afrique doit être pondérée et nuancée. En effet, la Chine n’est pas l’unique puissance étrangère à être accusée de privilégier ses intérêts économiques et commerciaux sur le continent noir. Nombreuses sont les publications accusant la Chine, la Russie, les USA ainsi que l’Europe de vouloir s’accaparer le “gâteau africain”.
La Chine est perçue comme l’un des bâtisseurs d’infrastructures les plus actifs sur le continent africain et notamment dans les pays anglophones de la côte est de l’Afrique (Kenya, Tanzanie). Cependant, la qualité des infrastructures érigées par l’Empire du Milieu sont souvent décriées pour leur qualité et durabilité. Le pont de Sigiri au Kenya qui s’est effondré en 2017, deux semaines après son inauguration, constitue encore aujourd’hui un élément d’image prégnant pour mettre en cause les réalisations chinoises sur le continent.
Par ailleurs, la Chine est fortement accusée de réaliser des infrastructures à dessein, dans le but de développer et nourrir sa politique de renseignement. Ce trait d’image est une constante de la perception de l’action chinoise depuis 2018 et l’espionnage informatique du siège de l’UA à Addis-Abeba (Le Monde, janvier 2018). Ces sujets génèrent très régulièrement de forts taux d’engagement sur les réseaux sociaux, provenant d’Afrique mais aussi du monde entier.
The $12 million Chinese-built Sigiri Bridge in Busia County, Kenya collapsed before it was completed in 2017.
It collapsed just two weeks after it was inspected by President Uhuru Kenyatta. pic.twitter.com/niHgmOQOaK
— Africa Facts Zone (@AfricaFactsZone) June 2, 2020
China has built 186 Government buildings in Africa. They have been found to be spying on African governments through them. They bugged them.
— Africa Facts Zone (@AfricaFactsZone) May 26, 2020
Actions chinoises et résurgence de problèmes internes aux pays d’Afrique
L’aide humanitaire et sanitaire apportée par la Chine sur le continent génère des crispations liées à la gouvernance et à la gestion propre à chaque pays. Ainsi les annonces du Ministère de la Santé Publique du Cameroun sur l’aide sanitaire chinoise ont suscité de vives et nombreuses critiques liées à la corruption des autorités et la redistribution aux populations des matériels et des dons. Au Nigéria, les actions et plus globalement l’influence de la Chine peuvent susciter et exacerber les tensions “ethniques”. En effet, certains internautes nigérians génèrent d’important taux d’engagements lorsqu’ils dénoncent les collusions de l’ethnie historiquement au pouvoir, qu’ils accusent parfois frontalement de brader la souveraineté nationale à la Chine, au bénéfice du clan au pouvoir.
Réaffirmation de la souveraineté des Etats
En Côte d’Ivoire, la rumeur de l’arrivée de 60 voyageurs chinois qui auraient pu entrer mi-mars sans être ni testé ni mis en quarantaine avait fait grand bruit sur les réseaux sociaux, alors que les premières mesures fermes, dont la fermeture des frontières, avaient été prises par les autorités. Une situation similaire au Kenya a également suscité de massifs partages et dénonciations d’un statut privilégié accordé aux arrivants chinois.
Au Rwanda, la décision du Président Paul Kagamé de renvoyer 18 Chinois a été massivement saluée sur des pages panafricaines et d’actualités généralistes. Il est tout de même notable que ces dénonciations provenant des internautes africains ne font pas l’objet d’une expression xénophobe à l’égard des Chinois. Elles renvoient davantage à une demande d’affirmation de souveraineté et d’indépendance des États ou des institutions africaines, ou plus largement d’une égalité de traitement.
39 Kenyans who arrived from China were taken to Cooperative College, Karen at 5:30am. The government had told them quarantine is free but now the staff at the college have refused to accommodate them. They have been told to leave the college if they can’t pay upfront. @MOH_Kenyapic.twitter.com/Nfzz9zW2eX
L’Inde, nouveau concurrent de la Chine sur le continent africain ?
Le continent africain est au centre des convoitises des puissances étrangères. Les difficultés que la Chine pourrait présenter dans le développement de ses activités en Afrique constituent des opportunités pour d’autres. Les médias et réseaux sociaux indiens évoquent régulièrement les failles et fébrilités chinoises en Afrique ouvrent des perspectives à la deuxième grande puissance asiatique pour mettre en place et développer des nouveaux partenariats avec le continent africain, au regard de l’expérience chinoise de laquelle tirer des enseignements.
How Indian analysts compare #China and #India in #Africa: « for China 3 aspects are critical:money, political influence+elite level wealth creation(..)India’s approach=building local capacities +an equal partnership with Africans, not merely with Afr eliteshttps://t.co/1qzQmfPfQL
La question du racisme de la Chine envers les Africains
Mobilisation #BlacksInChina pour les Africains maltraités en Chine
Le sujet du racisme envers les Africains constitue un axe de visibilité prégnant concernant la Chine, ravivé durant la pandémie de Covid-19. Sur les réseaux sociaux, les témoignages et vidéos affluent, provenant des médias (BBC News Africa), de comptes d’actualités généralistes africaines (Africa Facts Zone) ou d’internautes lambda, dénonçant avec fermeté le sort réservé aux ressortissants africains en Chine. Ces derniers ont été mis en quarantaine de force, aspergés de désinfectant à l’entrée des magasins, sans pouvoir être autorisés à y entrer.
Portées par les hashtags #BlacksInChina et #BlackChina, utilisés à eux seuls à plus de 8 300 reprises, ces dénonciations ont pris davantage d’ampleur avec le contexte mondial des violences contre les Noirs. Dès lors, est observable une convergence avec le mouvement #BlacksLivesMatter.
Malgré la virulence et la légitimité de ces dénonciations, aucune prise de parole xénophobe provenant d’un internaute africain n’a suscité de reprises massives à l’égard des autorités et populations chinoises. La xénophobie ne semble pas faire partie des ripostes et critiques africaines contre les Chinois.
« We are being forced into quarantine because we are black. »
Members of the African community in Guangzhou, China say they face discrimination because of their race. Two Nigerian businessmen sent @dannydvincent their stories.
At the same time Africa is very hospitable to the Chinese, a vast majority of #BlacksInChina are going through discrimination. Sadly, our leaders are very comfortable with this, because they’ve been enslaved by the Chinese Gov’t with loans. It’s high time we fight for equality!
Plusieurs officiels africains sont montés au créneau à la suite de la diffusion sur les réseaux sociaux de vidéos des mauvais traitements infligés à leurs compatriotes sur le territoire chinois.
Le 9 avril dernier, le Ministère des Affaires étrangères du Nigeria a sollicité un entretien avec l’Ambassadeur chinois au Nigeria lors duquel il a demandé une intervention immédiate de Pékin.
L’Union Africaine a également réagi, dans un communiqué publié sur ses comptes sociaux, affirmant que “l’Afrique valorise sa relation avec la Chine, mais pas à n’importe quel prix”. Malgré ces réponses diplomatiques, les internautes africains restent nombreux à estimer les réactions de leurs autorités trop timides pour condamner et s’opposer à ces traitements, l’influence et la mainmise de la Chine sur les politiques intérieures en lame de fond.
L’instrumentalisation du racisme envers les Africains au cœur des relations internationales
La question du racisme chinois envers les Africains, si elle a d’abord été restreinte à l’Afrique, a rapidement dépassé les frontières du continent pour se muer en véritable alibi pour mener une bataille d’image et d’influence entre les puissances américaines et chinoises par prises de parole diplomatiques interposées.
Les États-Unis se sont, dès les prémices de la crise, engouffrés dans la brèche. Alors que le porte-parole du département d’Etat américain déplorait un partenariat creux entre la Chine et l’Afrique, mis en exergue par les mauvais traitements infligés aux Africains sur le territoire chinois, le Président Trump a été jusqu’à saisir le cas du racisme de la Chine à l’encontre des Africains pour justifier sa décision de retirer son pays de l’Organisation Mondiale de la Santé.
En plein contexte des manifestations “Black Lives Matter” aux États-Unis, la Chine a publié un communiqué pour dénoncer la maladie chronique du racisme américain, suscitant les railleries des internautes africains qui relèvent l’ironie de la situation en mettant en parallèle le cas de leurs compatriotes durant confrontés au racisme chinois. Tandis que les Etats-Unis et la Chine se livrent cette bataille d’influence, des autorités africaines comme Paul Kagame et Moussa Faki Mahamat élèvent la voix et appellent à recentrer l’attention sur la gestion de la crise.
Totally Agree ,and asking this; Is it Dr.Tedros,WHO,China…under attack or all of them together? Let’s focus on the fight against this pandemic,whoever sh’d be held acc’ntable will come later and done properly. Save us too much politics Africa does not need it. Who does? https://t.co/pNeKIRZGE1
🤣🤣🤣🤣🤣 la Chine qui faisait la chasse aux Africains il y a à peine quelques semaines, s’invite au festival raciste des États-unis. https://t.co/dLNrMNkB1b
— Litsani Choukran (@LitsaniChoukran) June 1, 2020
Le pangolin comme symbole de l’exploitation de la biodiversité africaine
La Chine mise en cause pour son exploitation de l’environnement africain
L’activité d’exploitation des ressources issues de la biodiversité africaine par la Chine constitue un vif levier de critique par les internautes africains, comme par des internautes venant du monde entier.
Cela vient du fait que la majeure partie des publications sur le sujet est issue de pages environnementales non africaines. Au Ghana, c’est l’exploitation de la bauxite par la Chine qui suscite l’ire des internautes du pays.
La Chine n’est cependant pas l’unique pays visé par les critiques : plus globalement les internautes de tous pays dénoncent les méfaits du capitalisme, de son activité extractrice et mettent en cause la société de consommation, ainsi que le rôle des Etats-Unis dans cette tendance. National Geographic a publié début juin un article affirmant que la Chine avait retiré de la liste 2020 des médicaments traditionnels approuvés par les autorités dont “les écailles de pangolin, figurant dans la pharmacopée du pays depuis des décennies”, animal soupçonné d’être à l’origine de la diffusion de la pandémie de Covid-19. Ces cinq dernières années, 90 % des 62 tonnes de pangolins saisis à Hongkong provenaient du Nigeria.
Le respect des animaux en toile de fond des critiques à l’encontre de la Chine
Some African countries such as Uganda, Tanzania, Botswana, Niger, Burkina Faso, Mali and Senegal have banned donkey exports to China and it is time the Agriculture ministry to enforce the ban in this country #CorruptChineseDonkeyDealspic.twitter.com/786PNaiXvy
Les discussions sur les actions de la Chine dans les pays africains suscitent des débats passionnés, nuancés, éloignés d’une vision polarisée ou manichéenne. Les actions d’aide matérielle et médicale chinoise en Afrique sont saluées en ligne, en particulier par les autorités africaines, toutefois la mainmise de la Chine sur les économies africaines et plus particulièrement la faiblesse des souverainetés du continent constituent des axes de visibilité majeurs sur cette thématique.
Malgré les efforts déployés par la Chine sur le continent, les internautes africains ne semblent que peu goûter à la philanthropie chinoise, dont ils doutent de la sincérité désintéressée, en attestent l’utilisation massive de l’emoji de réaction “angry” sur Facebook (6% des réactions enregistrées sur les posts) et les différents hashtags de mobilisation panafricaine en défense des diverses offensives de la Chine. La condamnation des actes racistes des Chinois à l’égard des Africains est ainsi l’un des leviers premiers de visibilité, décuplé par le contexte mondial. Ce racisme, instrumentalisé, est devenu un véritable alibi à la bataille d’image que se mènent Chine et États-Unis.
La présence, l’action de la Chine en Afrique ont toujours été au centre des intérêts – parfois des préoccupations – des Etats, des géopoliticiens, des économistes, etc. Cette fois-ci, ce sont deux spécialistes de la communication qui se penchent sur le sujet, mais sous un angle plutôt original qui pourrait servir de base à des analyses encore plus poussées. En effet, 35°Nord, agence de conseil en stratégie de communication dédiée au continent africain, et Afriques Connectées, laboratoire d’analyse des phénomènes viraux en œuvre sur les réseaux sociaux en Afrique, viennent de révéler les résultats d’une étude sur la perception par les internautes africains de la Chine et de ses actions sur le continent durant la pandémie qui sévit actuellement.
Cartographie resserrée des 5 500 comptes les plus influents (selon le filtre statistique Eigenvector centrality), classée et regroupée par proximité conversationnelle et relationnelle (Modularité) .
Le 1er avril dernier, le chercheur français Camille Locht, qui officie à l’INSERM, et le médecin Jean-Paul Mira de l’hôpital Cochin échangeaient sur la chaîne d’information continue LCI au sujet du développement de méthodes médicales pour lutter contre la crise du Covid-19. Sur un ton qu’il qualifie de “provocateur”, Jean-Paul Mira y propose de tester des vaccins sur le continent africain et des populations fragiles “comme cela a pu être fait sur des prostituées” il y a quelques années. Camille Locht abonde dans ce sens et affirme qu’un appel d’offre va être émis auquel l’INSERM répondra très certainement. Ces quelques minutes de discussion ne sont pas passées inaperçues et ont suscité une vague massive d’indignation sur les réseaux sociaux, portée par des internautes africains et issus de la diaspora. Cet événement constitue certainement l’une des premières polémiques d’ampleur mondiale sur les réseaux sociaux concernant un sujet médical et sanitaire en Afrique.
Afriques Connectées a analysé l’ensemble des réactions et publications sur Twitter et sur Facebook provenant de cette polémique a été collecté entre le 1er et le 9 avril, avec l’aide de la plateforme Visibrain.
Chronologie de la polémique
Fin mars : les vaccins font l’objet d’un bruit de fond critique sur les intérêts de lobby pharmaceutique en Afrique. Il est un des ressorts du discours anti-impérialiste en ligne. En témoigne les critiques sur la volonté de la fondation Bill Gates de développer des vaccins pour l’Afrique.
1er avril : diffusion de l’émission de LCI à l’antenne. Premiers extraits de l’émission, filmés au smartphone, publiés sur Twitter.
2 avril : début de la polémique sur Twitter avec 60 000 tweets postés, mobilisation des stars du football et de la musique, lancement de la pétition Change.org, relayée par Booba, et publication d’un communiqué par l’INSERM pour démentir les allégations et contrer les critiques exprimées
3 avril : pic de visibilité sur Twitter et sur Facebook, l’INSERM publie les excuses de son chercheur Camille Locht
À partir du 4 avril : visibilité résiduelle décroissante
Sur les réseaux sociaux, une mobilisation rapide et d’ampleur
Au total, on dénombre près de 210 000 tweets et retweets postés par plus de 120 000 comptes entre le 1er avril et le 9 avril, générant 430 millions d’impressions potentielles.
L’ampleur de la crise est due à deux facteurs concomitants :
la proportion d’internautes ayant posté un tweet, et pas simplement effectué des RT, est très importante : elle concerne plus d’un internaute sur quatre (21 427 au total)
le volume de RT est conséquent, on en dénombre pas moins de 180 000, ce qui a permis à la polémique de s’exporter largement au-delà du noyau d’acteurs ayant pris la parole sur le sujet sur le réseau.
Donnée intéressante : le nombre de vidéos postées nativement dans un tweet. Preuve de l’emballement de la polémique, 80% de ces vidéos ont été postées entre le 3 et le 7 avril, offrant un second souffle à la crise née avec les premières publications de l’extrait vidéo de LCI. L’existence du support vidéo (et les captures d’écran rendues possibles) permet de fixer l’événement de façon tangible et favorise les reprises et les partages.
Côté Facebook, si le sujet a atteint un nombre très conséquent de profils (plus de 260 millions d’impressions), il a également suscité une forte activité : en atteste le nombre d’interactions générées par les 1 710 posts analysés. En moyenne, chaque post a ainsi été liké, commenté et partagé plus de 2 300 fois.
Analyse communautaire de la polémique
Plus de 90 000 comptes Twitter collectés, 44 000 comptes dont les relations conversationnelles sont cartographiées. La taille des noeuds (comptes) est proportionnelle à leur influence au sein du réseau de conversation (filtre statistique d’autorité eigenvector centrality). Les noeuds ont été répartis par proximité conversationnelle et relationnelle via le filtre statistique de Modularité (code couleur). Ces relations n’existent qu’à partir des tweets récupérés ici et non pas d’un historique relationnel. Chaque couleur représente une communauté.
Les stars internationales, leviers de la médiatisation
Le rappeur Booba a été la première star internationale à relayer la vidéo LCI dans la nuit du 1er au 2 avril. Booba figure également parmi les premiers relais d’ampleur d’une pétition hébergée sur la plateforme Change.org. Cette pétition est le lien le plus partagé sur Twitter (8 753 partages sur la période), elle comptabilise plus de 130 000 signatures.
En suscitant des milliers de RT et de likes, ces comptes ont joué le véritable rôle d’amplificateur de la polémique en élargissant la propagation du contenu décrié à une audience considérable, grand public, pas nécessairement politisée ou coutumière de ce genre de sujet. De plus, les communautés en ligne de ces sportifs et artistes s’étendent en Afrique comme en France.
Publié le 2 avril, l’article de l’Equipe sur l’indignation du footballeur camerounais Samuel Eto’o sur Facebook est la publication la plus relayée sur Twitter avec plus de 2 100 partages. C’est elle qui suscite, dans une mesure importante, la vague de reprises par les médias généralistes francophones.
Une disparité d’acteurs mobilisés à divers niveaux
L’ampleur de la polémique et sa dangerosité en pleine crise sanitaire mondiale ont alerté l’Organisation mondiale de la Santé. C’est par la voix de son Directeur général, Dr Tedros, que les “propos racistes” du chercheur et du médecin français sur LCI ont été condamnés par l’OMS. Cette prise de parole explique la mobilisation et les interpellations des comptes institutionnels internationaux (@WHO, @onuinfo), mais aussi d’Emmanuel Macron qui évoque sa discussion avec Dr Tedros sur la situation en Afrique.
Malgré le nombre important d’articles publiés et partagés sur Twitter, plus de 7 600, l’influence des médias s’avère réduite dans la crise en ligne. La majeure partie des articles ont été publiés le 4 avril, soit le lendemain des pics de visibilité sur les réseaux sociaux. RFI et France Info sont les articles les plus RT sur Twitter, le premier sur les excuses du chercheur de l’Inserm, le second sur la réaction de l’OMS.
Les militants panafricanistes et anti-impérialistes connus des réseaux sociaux comme Kemi Seba et Nathalie Yamb suscitent de forts taux d’engagement sans pour autant faire porter leur voix au delà de leur communauté classique. La sociologue Kaoutar Harchi suscite plus de 5 000 RT et 7 000 likes en dénonçant le manque de considération pour les “corps féminins racisés”.
Le cas de la communauté sénégalaise sur Twitter
Si le Président sénégalais Macky Sall n’a pas réagi à la polémique des vaccins sur son compte Twitter, son tweet du 2 avril posté à la suite de sa conversation avec E. Macron sur les mesures conjointes à mettre en place pour lutter contre le Covid-19 en Afrique a été, lui, abondamment commenté par la communauté de twittos sénégalais (#Kebetu). Très active sur Twitter, celle-ci a interpellé Macky Sall sur la question des vaccins, l’enjoignant à refuser tout test sur le territoire sénégalais.
Par ailleurs, le Ministre de la santé du Sénégal, @abdioufsarr, a tweeté la vidéo de sa déclaration sur le sujet lors d’un échange télévisé sur la chaîne ITV Sénégal, le 3 avril.
Son tweet, affirmant que “l’Afrique n’est le dépotoir de personne”, est le 4ème tweet le plus retweeté au Sénégal.
La cartographie illustre le fait qu’Abdioulaye Diouf Sarr fait le lien entre la communauté #Kebetu et des comptes suivis par la diaspora comme @diasporamediaof, très actif sur cette polémique. Ces comptes de la diaspora présentent également une forte proximité avec des comptes de sportifs et artistes ayant amplifié la crise comme @ndiayegaindesn.
Une polémique qui a atteint les plus hauts sommets
Partie d’une séquence télévisée sur une chaîne française, la crise a enflé sur Twitter avant d’atteindre les plus hauts niveaux. Plusieurs Présidences et Président africains ont réagi à la polémique directement sur leurs compte Twitter, tout comme le Directeur général de l’Organisation Mondiale de la Santé.
#Urgent#COVID19 La Présidence informe l’opinion publique que les autorités maliennes n’ont signé aucun accord pour tester un vaccin anti Covid-19 sur le sol malien contrairement aux posts mensongers qui circulent sur les réseaux sociaux.
L’OMS condamne les propos de chercheurs évoquant l’Afrique comme « un terrain d’essai » pour un vaccin – L’Express https://t.co/ycRYPQNOrj
— Tedros Adhanom Ghebreyesus (@DrTedros) April 6, 2020
À noter : le Président français a réagi à la polémique le 15 avril sur l’antenne de RFI pour dénoncer les “propos inconséquents” des deux chercheurs français.
Un public large touché par des stars populaires sur Facebook
Sur Facebook, les artistes africains dont les popularités nationales et continentales ne sont plus à développer se sont massivement mobilisés via leur page officielle.
Bien que les posts les plus relayés et partagés proviennent des footballeurs à la notoriété intercontinentale Samuel Eto’o et Didier Drogba, la mobilisation des artistes africains a permis d’ouvrir la visibilité de la polémique à une audience africaine large et plus populaire que sur Twitter. Parmi les plus engageants sur le sujet, les acteurs/producteurs ivoiriens Michel Gohou et Guy Kalou Emile, du chanteur Alpha Blondy et le chanteur congolais Koffi Olomide.
Sans surprise, les internautes expriment leur indignation en commentaires des articles de RFI ou encore du Parisien qui figurent parmi les publications médias les plus engageantes.
Profils des acteurs de la diffusion
Une propagation portée par deux types de profils
Deux types de profils ont porté la propagation de la polémique, chacun ayant eu un rôle précis dans la propagation :
Répartition des comptes ayant été actifs sur Twitter au sujet de la polémique, par nombre de followers
Les petits comptes, suivis par moins de 500 followers, représentent la masse de la mobilisation citoyenne : ils ont été très actifs autour de la polémique — ils sont les auteurs de 70% des tweets, mais n’ont généré qu’une très faible visibilité sur le réseau social
Les stars du sport et de la musique, dont les comptes dénombrent plus de 100 000 followers, ont permis deux choses : le déclenchement des reprises médiatiques de la polémique dès lors qu’elles s’en sont emparées, ainsi que l’ouverture et l’élargissement de la polémique au grand public qui les suit massivement sur Twitter.
Répartition des impressions générées par les comptes, par nombre de followers
Peu nombreuses parmi l’ensemble des comptes (elles représentent à peine 0,13% de l’ensemble des comptes), ces personnalités ont généré plus de la moitié des impressions liées à la crise. Leurs comptes, extrêmement suivis, ont ainsi étendu la visibilité de la polémique à des internautes peu politisés ou peu militants. Elles ont été soutenues par les micro-influenceurs et influenceurs, suivis par 5 000 à 50 000 followers, qui via leurs réseaux denses, actifs et connectés ont permis de déclencher une véritable mobilisation revendicatrice. Certains des tweets les plus retweetés (@__realea, @DidiBabeee) ont été postés par des comptes ne comptant qu’environ 1000 abonnés, preuve de la force de cette mobilisation revendicatrice.
Grand public et militants, en France et en Afrique
Les intérêts renseignés dans les biographies des comptes ayant réagi aux propos de Camille Locht et Jean-Paul Mira nous donnent à voir le type de public mobilisé tout au long de la polémique. On retrouve une forte prévalence des termes liés au sport et à la culture, matérialisant l’influence des stars de ces deux domaines dans la propagation de la crise sur le réseau social auprès de profils peu politisés.
La communauté de comptes militants, liée au champ lexical de la politique, étant de son côté activée par les comptes des micro-influenceurs et influenceurs.
La question de la profession des internautes semble également s’éclaircir au regard de leurs intérêts, une large partie d’entre eux faisant état de leur métier dans leur biographie. À noter une forte proportion de métiers liés à la communication et au digital, proportion relativement courante sur Twitter.
Par ailleurs, 26% des comptes ayant pris part à la polémique sur Twitter sont localisés en France, et notamment en Ile-de-France, où la diaspora africaine est très présente. Il s’agit du pays le plus représenté parmi les internautes, loin devant la Côte d’Ivoire (2%), la Belgique (1,9%) et le Sénégal (1,7%). Sur Facebook, l’écart entre la France (21%) avec le second pays le plus mobilisé, la Côte d’Ivoire (10,39%), est plus réduit que sur Twitter. Le Sénégal, troisième à 10%, devance le Cameroun à 5 % puis une multitude de pays africains de la sous-région et enfin d’Afrique centrale.
Cette répartition s’explique en partie par la notoriété transcontinentale des stars du football et de la musique qui se sont emparées de la polémique, au-delà du fait que la polémique est née en France à la suite de propos tenus par des chercheurs français.
Plusieurs profils africains issus des médias et du monde de la communication ont été prompts à s’emparer de la polémique.
ESSAYEZ POUR VOIR! Des occidentaux s’imaginent que de pauvres africains seront les cobayes de l’humanité. AUCUN LABORATOIRE OCCIDENTAL N’EMPOISONNERA D’AFRICAINS! LES DIRIGEANTS AFRICAINS QUI AUTORISERONT CELA DOIVENT SAVOIR QU’À LA TÊTE DES ÉTATS, LEURS JOURS SERONT COMPTÉS pic.twitter.com/V1j0viGjf3
Ce racisme mal contenu. Cette condescendance et ce mépris dégoulinant et constant pour « les africains ». Ce neocolonialisme étouffant. Et ce genre de propos qui passent crème à la télévision française…Quelle honte! pic.twitter.com/mtEWSHD2M2
Connectés et influents, ces micro-influenceurs et influenceurs du secteur ont pu rapidement activer leurs réseaux composés de Key Opinion Leaders.
Analyse des conversations
1 300 hashtags ont été utilisés au sein des 210 000 tweets du corpus analysé. Nous les avons cartographiés pour faire apparaître les liens entre eux.
En bleu ciel, on retrouve des hashtags des pays associés aux principaux hashtags relatifs à la pandémie, et à la réaction de l’OMS, dans une plus faible mesure.
Représentée en violet, une partie non négligeable des conversations est axée sur la République Démocratique du Congo, qui s’était déclarée favorable à une campagne de vaccination de ses habitants, avant de se dédire face à l’ampleur de la polémique. Plusieurs termes et hashtags font référence pèle mèle à la dimension coloniale, la médecine coloniale, le BigPharma ou le racisme.
Portée par le rappeur Kaaris, l’expression “rats de laboratoire” jouit d’une forte visibilité. La référence aux animaux fait également partie des plus récurrentes.
À noter : absence de hashtag mobilisateur dans les conversations francophones, contrairement au hashtag #AfricansAreNotGuineaPigs utilisé par les anglophones.
Sur Facebook, la colère prédomine
Colère, méfiance et rejet sont les trois registres principaux des réactions sur Facebook.
Les hashtags les plus utilisés dans les publications publiques relatives à cette crise sont, outre ceux contextuels (coronavirus, vaccin, LCI…), de l’ordre de l’opposition (“Y en a marre”, qui est également un mouvement de la société civile au Sénégal, “pas de vaccin en Afrique”, “l’Afrique n’est pas un laboratoire”) et de dénonciation du racisme de la France vis-à-vis des Africains, vis-à-vis des Africains globalement.
Le terme “masque”, présent dans 10 % des publications, est utilisé pour mettre en exergue l’ambivalence attribuée à la France : celle-ci ne dispose pas de masques en nombre suffisant pour protéger sa population mais aurait pour priorité de protéger les populations africaines. Le mot “complot” est également récurrent, présent dans 6 % des publications.
Fait marquant : le deuxième emoji de réaction le plus utilisé sur les posts Facebook analysés est celui de la colère, à hauteur de quasi 10%, un chiffre élevé. Si le like classique est polysémique, l’emoji colère ne laisse que peu de doute quant au sentiment exprimé par les internautes l’ayant utilisé.
Les fake news à l’assaut des contenus
Le traitement médiatique de la polémique, s’il s’est focalisé sur les propos tenus par les deux médecins et les différentes réactions qui en ont découlé, a également abordé un volet plus global de lutte contre les fake news.
Qu’il s’agisse d’articles répondant à des sollicitations de lecteurs (à l’instar du travail fait par AFP Factuel) ou de contenus dédiés (comme cette vidéo d’AJ+ au sujet de l’historique des tests effectués en Afrique), les médias ont été nombreux à traiter le sujet sous l’angle de la lutte contre la désinformation.
La polémique analysée ici est née sur un terreau déjà propice à la propagation de fake news dans le domaine sanitaire et médical. Le sujet des vaccins, testés ou commercialisés par des Occidentaux en Afrique, cristallise un bruit de fond constant depuis le début de l’apparition de la pandémie (cf les complots apparus il y a quelques jours), mais qui remonte en réalité à plusieurs années.
Vidéo très intéressante sur les faux vaccins testés sur la population Africaine contre le Corona virus. Mais en réalité l’Afrique est utilisé comme cobaye. 1/3 pic.twitter.com/chdATVYMV7
Il s’agit d’un marronnier de la désinformation sur les réseaux sociaux, qui s’appuie comme toute bonne fake news sur les ressorts de la peur et du complot et sur des faits avérés, citons par exemple ce témoignage issu d’un documentaire de Planète + affirmant que les Etats-Unis ont inoculé volontairement le virus du SIDA en Afrique et cet article du Monde Diplomatique de juin 2005 intitulé L’Afrique, cobaye de Big Pharma qui ont tous deux ressurgi après l’éclatement de la crise .
Son deuxième article sur le sujet suscite lui aussi un engagement important sur les réseaux sociaux, notamment de la part d’internautes africains.
En complément de la satire, le registre de l’ironie est également utilisé par les internautes pour dénoncer et tourner en dérision les propos des deux chercheurs en mettant en parallèle les tests dont ils discutent et ceux pratiqués sur les animaux, suscitant eux une indignation large.
Au cours d’un débat télévisé, un chercheur malien et son confrère égyptien ont provoqué un début de polémique en évoquant l’Europe comme le prochain terrain d’essai d’un traitement expérimental contre le racisme #satirehttps://t.co/OO94Le9IdI
BIENVENUE EN 2020, LE MONDE DANS LEQUEL ON FAIT DES PROCÈS LORSQUE DES CHOSES SONT TESTÉES SUR LES ANIMAUX MAIS ON NE VOIT AUCUN INCONVÉNIENT À TESTER DES VACCINS SUR DES AFRICAINS.
Initialement francophone, la crise s’est rapidement exportée dans les régions anglophones, en Occident comme en Afrique. Côté anglophone, le volume de la polémique s’établit à un peu plus de 190 000 tweets publiés entre le 1er et le 8 avril.
Le schéma de propagation de la crise y est identique, avec un retard de deux jours.
Ici aussi, de nombreuses personnalités, qu’elles soient Africaines ou issues de la diaspora, issues du monde du sport ou de la culture ont permis d’attirer l’attention des médias grâce à leur notoriété. Il convient toutefois de noter qu’il s’agit principalement de personnalités francophones qui ont relayé le sujet à des publics anglophones, à l’instar de Didier Drogba qui, par des tweets publiés en anglais, a été le premier à étendre la polémique au-delà des frontières de la Francophonie.
La visibilité médiatique est également portée par des personnalités francophones, relevons par exemple l’article rédigé par Rokhaya Diallo et publié dans le Washington Post.
Plusieurs stars anglophones prennent ensuite son relai en s’emparant du sujet pour dénoncer vivement les propos tenus par les deux chercheurs français mais également, de manière plus globale, la position de l’Occident vis-à-vis de l’Afrique.
Notons également ce tweet, retweeté plus de 13K fois, qui relaie une vidéo publiée initialement sur Tik Tok pour dénoncer les propos des chercheurs, signe que la polémique a fait le tour des réseaux sociaux autant qu’elle a fait le tour du monde.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, il convient de poser le cadre de l’événement qui a conduit à cette étude réalisée en partenariat par Afriques connectées, laboratoire d’analyse des phénomènes viraux en œuvre sur les réseaux sociaux en Afrique, et 35° Nord, agence de conseil en stratégie de communication dédiée au continent africain. S’étant récemment alliées afin de couvrir et analyser les discussions sur les réseaux sociaux africains concernant le Covid-19, ces deux structures vont vite être servies par un événement qui a eu lieu le 1er avril sur le plateau de LCI, chaîne d’information en continu du groupe audiovisuel français TF1.
Ensemble, Afriques connectées et 35° Nord ont analysé cette polémique qui a fait réagir autorités politiques, société civile, populations, associations antiracistes, gouvernements africains et même des instances internationales. Leurs directeurs, Manon Fouriscot pour Afriques connectées et Romain Grandjean pour 35° Nord, ont décrypté pour nous cette étude. Entretien.
Depuis quelques mois les réseaux sociaux guinéens sont en pleine effervescence. En débat, la volonté de l’actuel Président Alpha Condé de doter la Guinée d’une nouvelle Constitution à quelques mois du terme de son deuxième et dernier mandat. L’opposition et de nombreux acteurs de la société civile, réunis au sein du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC), protestent dans les rues du pays depuis le mois d’octobre contre la démarche d’Alpha Condé et de son parti le RPG Arc-en-Ciel. L’opposition fédérée accuse Alpha Condé de vouloir changer la constitution pour briguer un 3ème mandat, illégal au regard de la constitution actuelle. Sur les réseaux sociaux, deux camps s’affrontent, polarisés autour du mot d’ordre #Amoulanfé (anti-référendum et 3ème mandat), littéralement “ça ne marchera pas” en Soussou (l’une des 3 langues les plus parlées en Guinée avec le Malinké et le Peul), et de son opposé #Alanmané (pro-3ème mandat). Afriques Connectées, en partenariat avec la plateforme Visibrain, a collecté près de 47 300 tweets relatifs au référendum constitutionnel et au potentiel 3ème mandat d’Alpha Condé entre le 9 décembre 2019 et le 22 janvier 2020.
Depuis quelques mois les réseaux sociaux guinéens sont en pleine effervescence. En débat, la volonté de l’actuel Président Alpha Condé de doter la Guinée d’une nouvelle Constitution à quelques mois du terme de son deuxième et dernier mandat. L’opposition et de nombreux acteurs de la société civile, réunis au sein du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC), protestent dans les rues du pays depuis le mois d’octobre contre la démarche d’Alpha Condé et de son parti le RPG Arc-en-Ciel. L’opposition fédérée accuse Alpha Condé de vouloir changer la constitution pour briguer un 3ème mandat, illégal au regard de la constitution actuelle.
Sur les réseaux sociaux, deux camps s’affrontent, polarisés autour du mot d’ordre #Amoulanfé (anti-référendum et 3ème mandat), littéralement “ça ne marchera pas” en Soussou (l’une des 3 langues les plus parlées en Guinée avec le Malinké et le Peul), et de son opposé #Alanmané (pro-3ème mandat). Afriques Connectées, en partenariat avec la plateforme Visibrain, a collecté près de 47 300 tweets relatifs au référendum constitutionnel et au potentiel 3ème mandat d’Alpha Condé entre le 9 décembre 2019 et le 22 janvier 2020. L’Observatoire Afriques Connectées vous propose de plonger dans ces conversations pour découvrir les dynamiques de mobilisation et les rapports de force entre les deux camps sur Twitter.
Les manifestations du FNDC rythment l’activité sur Twitter
Les principaux pics de visibilité et de discussion sont corrélés au processus d’avancement politique du projet de nouvelle Constitution mais aussi aux manifestations du FDNC, qui figurent parmi les principales sources de visibilité du débat en ligne.
Le principal pic est survenu le 19 décembre, lorsque le Président Alpha Condé a annoncé sur la chaîne TV nationale, la RTG, l’élaboration d’une nouvelle Constitution qui sera prochainement soumise au peuple par voie référendaire.
Les manifestations du 10 décembre, du 6 janvier et celles, quotidiennes, débutées à compter du 13 janvier, ont permis à l’opposition de se distinguer comme le plus gros pourvoyeur de discussions en ligne. En dehors de l’annonce faite par Alpha Condé le 19 décembre, c’est bien la mobilisation anti-3ème mandat qui dicte le tempo des conversations en ligne.
Timeline des retombées du 9 décembre 2019 au 22 janvier 2020
Sur Twitter, l’opposition prend le dessus
Rassemblés au sein du Front National pour la Défense de la Constitution, le FNDC, les partis d’opposition et la société civile font aussi front commun en ligne. Sur les 490 comptes les plus actifs et influents sur les réseaux sociaux, la communauté d’opposition rassemble sensiblement plus de comptes que la communauté de la mouvance présidentielle (38 % pour l’opposition, représentée en rouge, et 18 % pour la mouvance présidentielle représentée en vert). La communauté de l’opposition s’avère bien plus vaste et plurielle, réunissant des profils variés et davantage en interactions avec des comptes de journalistes et de médias internationaux, d’une part, d’institutionnels et d’ONGs d’autre part.
La communauté de la mouvance présidentielle présente de son côté une typologie de profils plus resserrée, dont la quasi-totalité est acquise à Alpha Condé. Également moins active, cet écosystème militant peine à peser dans le rapport de force sur Twitter. Celui-ci est principalement porté par les comptes du Premier ministre @IbrahimaKFofana et des ministres @gcurtisgn et @naitemoustapha.
Les comptes d’opposition, plus influents, parviennent à susciter plus d’adhésion auprès d’une audience plus large, composée de davantage de comptes apolitiques et non partisans, tandis que la mouvance présidentielle ne suscite des interactions qu’auprès d’un cercle circonscrit aux militants et cadres du RPG-Arc-en-Ciel.
Sur cette cartographie, chaque nœud (point) représente un compte. La taille des comptes est proportionnelle à leur influence au sein du réseau de conversation (Eigenvector centrality). Les relations entre deux comptes (RT, mention) sont représentées par un lien, l’épaisseur de celui-ci est proportionnelle à l’intensité des échanges entre les deux comptes. Par souci de lisibilité, cette cartographie rend visible les 489 comptes Twitter les plus actifs et influents (sur près de 10 000 comptes) et les 7 950 liens les connectant (sur près de 18 000 au total) dans les conversations Twitter sur le référendum constitutionnel.
Les opposants font cause commune
Réunis autour d’une cause commune au sein du FNDC, dont le compte Twitter fait office de compte pivot des revendications contre le 3ème mandat, les différents comptes de l’opposition allient également leurs forces sur les réseaux sociaux. Cette alliance digitale leur permet de mobiliser leurs communautés respectives et ainsi de susciter de forts taux d’engagement, de porter leurs messages à une audience massive et, in fine, de gagner aisément le rapport de force contre les comptes de la mouvance présidentielle sur Twitter.
Sidya Touré, Président du parti d’opposition UFR, apparaît comme pleinement intégré à la communauté du FNDC. Sa communauté semble se confondre avec cette dernière, si bien que ses interactions proviennent essentiellement de comptes se revendiquant du FNDC sans bénéficier d’une communauté de soutien propre à son parti.
Les deux autres grandes figures de l’opposition politique, Cellou Dalein Diallo, chef de file de l’opposition et président du plus grand parti d’opposition l’UFDG, et Bah Oury, ancien membre de l’UFDG ayant coupé les relations avec le parti avant de lancer le sien, tous deux liés au FNDC, possèdent leur propre communauté en ligne, en témoignent leur positionnement et leur importance sur la cartographie.
Il faut cependant relativiser et nuancer l’influence et l’importance de Bah Oury, son compte ayant suscité un grand nombre d’interactions à la suite d’un piratage et la diffusion d’une “image pornographique”, ce qui explique une partie de sa visibilité dans la cartographie, contextuelle au moment de la réalisation de notre analyse.
Mon compte est piraté . Nous sommes en train de régler le probléme au plus tôt pour éliminer l’image pornographique. Veuillez nous en excuser.
Cellou Dalein Diallo s’impose dès lors comme le membre de l’opposition le plus influent sur Twitter. Bien que son activité soit moins intense que celle des deux autres leaders, il est, de loin, l’homme politique guinéen qui suscite le plus d’engagement sur Twitter. Quatre de ses tweets figurent dans le top 10 des tweets les plus retweetés sur la période analysée, ayant suscité 844 RT, loin devant Bah Oury (@bahourykigna) avec 700 RT suscités et Sidya Touré (@sidyaofficiel), 197 RT suscités.
L’année 2020 signe la fin de la dictature d’Alpha Condé. Toujours plus nombreux dans nos rues, les Guinéens crient par milliers #Amoulanfé ! Rien ne nous arrêtera. pic.twitter.com/y5ayptMZHs
Une myriade de comptes experts ou activistes pour faire barrage au 3ème mandat
Le compte @Amoulanfe2020, se présentant comme un collectif non partisan engagé contre le 3ème mandat, se place parmi les comptes les plus influents de la mobilisation en ligne. Avec plus de 1300 RT suscités sur la période, il est le 4ème compte le plus repris derrière les médias nationaux @VisionGuinee et @Guineematin, et le @FNDC_Gn. Très actif en terme de veille et de riposte, la force de ce compte est de publier régulièrement des contenus propres, avec des infographies et des montages vidéos très relayés dénonçant la mainmise d’Alpha Condé sur les affaires politiques et économiques du pays.
Voilà qui prouve à suffisance que cet homme a tjs utilisé la fraude pour se maintenir au pouvoir & qu’il est déterminé à confisquer encore le vote des citoyens: Alpha Condé pris en flagrant délit d’immixtion dans le processus d’enrôlement des électeurs en Haute #Guinée#Amoulanfépic.twitter.com/DGYgvhA4Ma
L’opposition contre le 3ème mandat d’Alpha Condé s’appuie également sur des comptes secondaires mais néanmoins influents regroupant des profils variés avec des experts et blogueurs comme @RIFCHEDIALLO, @witterlims ou encore @sbskalan (qui a lancé récemment #AlloColéah, équivalent de #AlloBeauveau de @davduf en France) et des militants et activistes comme @ambangoura, @kalilLeGeneral, @FodeBALD2 et @fareinta.
Les médias @VisionGuinée, @Guineematin, les journalistes @CarolValade et @sidyyansane, pour leur activité de relais d’information, sont très souvent repris et mentionnés par les comptes d’opposition, ce qui explique leur présence dans cette communauté.
La mouvance présidentielle écrasée et mise à l’écart par l’opposition
La difficulté de la mouvance présidentielle à peser dans les conversations s’explique aisément au regard du positionnement politique de leur leader Alpha Condé et de son silence fallacieux sur sa volonté de faire un 3ème mandat. S’abstenant de se déclarer officiellement à l’heure actuelle, il laisse pour simple possibilité à ses partisans de faire la promotion du référendum pour une modification constitutionnelle sans réel argument tandis que l’opposition communique autour d’un argument fort et mobilisateur : le lien entre nouvelle constitution et 3ème mandat.
Ce positionnement inavoué du Président Alpha Condé laisse ses soutiens dans l’embarras. Les comptes institutionnels de l’Etat se retrouvent marginalisés, ce sont ainsi les hommes politiques (ministres et chargés de communication) qui concentrent les débats. Les comptes personnels des ministres ont supplanté les comptes des Institutions, en témoigne @GouvGN qui n’a rien publié depuis juin 2019, le compte n’apparaît dans la cartographie qu’en raison du fait qu’il continue d’être mentionné.
Le top 5 des hashtags illustre la difficulté de la mouvance présidentielle à s’imposer dans les conversations et son incapacité à rassembler autour de mots d’ordre clairs. Le hashtag #Alanmané, porté par les pro-Condé, est quasi-inexistant contrairement au hashtag #Amoulanfé qui arrive presque à égalité avec le hashtag #kibaro qui est utilisé pour concentrer l’intégralité des tweets relatifs à la Guinée.
Présence duale d’Alpha Condé sur Twitter
Deux comptes se présentent comme étant ceux du Président Alpha Condé : @President_Gn et @AlphaCondePRG. Aucun n’a la certification Twitter et tous deux affichent des habillages, lignes éditoriales et actualités similaires.
Tandis que @President_GN apparait dans la même communauté que les comptes de la mouvance présidentielle (communauté verte), le compte @AlphaCondePRG fait davantage l’objet d’attaque de la part des comptes proches du FNDC (d’où sa présence dans la communauté rouge) tout en présentant une forte proximité avec les comptes de la mouvance présidentielle à travers de nombreuses reprises de la part de comptes ministériels ou pro-Condé. Le compte @AlphaCondePRG est celui des deux comptes qui suscite le plus de RT, 361 contre 302 pour @President_Gn sur la période analysée. C’est plus de deux fois moins que ceux engrangés par Cellou Dalein Diallo, chef de file de l’opposition.
@Prof_AlphaCondé est un compte ouvertement parodique, il est cependant le compte au nom d’Alpha Condé qui a le plus de followers, près de 50 000.
Top 10 des comptes les plus mentionnés (source Visibrain)
Les comptes d’opposition à la recherche de soutien auprès de la communauté internationale
En bas de la cartographie, intégrés à la communauté FNDC engagée contre le 3ème mandat, se retrouvent les comptes internationaux : @ndi, @ecowas_cedeao, @_AfricanUnion, @JY_LeDrian, @EmmanuelMacron, @AOuattara_PRCI, @GEJoanathan… qui font pour la plupart l’objet d’interpellation des comptes d’opposition les appelant à l’aide ou à des prises de parole contre le 3ème mandat. L’actualité internationale d’Alpha Condé donne aussi l’occasion à l’opposition d’élargir la visibilité de ses interpellations et de faire connaître son combat au delà des milieux initiés.
La mouvance présidentielle a été bousculée quelques jours fin janvier par une grève des communicants du RPG dont les revendications portaient sur une augmentation de leurs indemnités et une valorisation de leur fonction. Ces comptes, peu nombreux mais très actifs, sont régulièrement accusés de véhiculer des fake news en faveur de leur candidat ou dénigrant ses opposants. Si ceux-ci ont obtenu gain de cause auprès de leur parti, il est peu probable que la reprise de leur activité change le rapport de force. En Guinée, Twitter dit #Amoulanfé.
Alors que le pouvoir guinéen maintient le flou sur le calendrier des élections législatives et sur de possibles changements de la constitution qui pourraient prolonger la présidence d’Alpha Condé, les manifestants continuent de se mobiliser à travers le monde. Le dialogue politique semble être dans une impasse totale comme le démontrent de nombreux commentaires en ligne à l’échelle panafricaine.
La Guinée se prépare depuis plusieurs mois à deux dates cruciales: celle des élections législatives et celle des élections présidentielles prévues pour octobre 2020. Or dans les deux cas, le pouvoir maintient une politique ambigüe qui polarise la société guinéenne. Alors que les élections législatives étaient annoncées initialement fin 2018, puis prévues pour le 28 décembre 2019, elles viennent d’être reportées sans véritable explication et surtout sans annonce d’une nouvelle date.
Comme le rappelle le site Guineepolitique, les manifestants sont à bout:
Après la semaine de manifestation meurtrière qu’a connue le pays, les Guinéens ne veulent rien lâcher. Mercredi [23 octobre], alors que les femmes ont défilé en blanc pour dire stop aux violences policières, le pays est entré dans une dangereuse effervescence.
Jeudi, les opposants ont pris le relais dans les rues de la capitale Conakry et d’autres villes du pays. Vêtus de rouge (la couleur du sang des victimes), ils étaient bien des centaines de milliers de personnes selon des journalistes locaux – un million selon les organisateurs, 30 000 selon le gouvernement – à marcher sur plusieurs kilomètres aux cris de « amoulanfe » (« ça ne passera pas » dans la langue locale) ou « à bas la dictature », sans heurts malgré une forte et discrète présence policière.
L’opposition à tout changement constitutionnel se manifeste également en ligne, comme le souligne Afriques Connectées, le site d’observation des médias sociaux africains basé à Abidjan
Comme pour l’élection de 2012, pendant laquelle le Sénégal avait fait figure de leader dans le domaine des civic tech en Afrique en lançant la plateforme citoyenne de suivi de la campagne électorale #Sunu2012, les internautes sénégalais condensent depuis quelques mois les tweets relatifs à l’élection de 2019 avec le hashtag #Sunu2019 (plus de 7 500 tweets au cours des 30 derniers jours). Mais c’est un autre hashtag qui mobilise la twittosphère sénégalaise ces derniers jours : #SunuDébat. Celui-ci est présent dans plus de 21 000 tweets une dizaine de jours après sa première apparition, le 8 janvier.
L’idée portée par le hashtag d’inviter les candidats à l’élection présidentielle à s’affronter lors d’un débat télévisé est lancée par @Call_Me_Wawa, qui interpelle directement le Président du Sénégal sur le sujet, dans un tweet retweeté à plus de 600 reprises.
Cet appel a été suivi très rapidement par la twittosphère sénégalaise, l’une des plus actives et influentes de la sous-région voire du continent africain, avec notamment l’influent activiste @aliamsi (23.5 K abonnés).
L’organisation d’un débat en vue de l’élection présidentielle serait une première pour le Sénégal, une démarche également très marginale voire inexistante pour un pays de la sous-région.
Macky Sall, candidat à sa propre succession a cultivé pendant l’ensemble de son mandat l’image d’un Président réformateur et novateur. La posture du Président candidat quant à cette opportunité de saisir cette démarche et de se soumettre à un débat semble pourtant constituer davantage une prise de risque qu’une sinécure, tant la virulence des candidats d’opposition à son égard se fait pesante.
Afriques Connectées s’est penchée sur le hashtag #SunuDébat, de son apparition à sa médiatisation en passant par la mobilisation citoyenne qu’il suscite, à travers l’analyse et la cartographie de 16 217 tweets émis avec les hashtags #SunuDébat et #Sunu2019 entre le 3 et le 13 janvier.
Des candidats à l’écoute
En quelques heures, le tweet atteint le Ministre en charge de la communication présidentielle, El Hadj Hamidou Kassé, qui indique que les conditions ne sont pas réunies pour la mise en place d’un débat à ses yeux. A la suite de cet échange, @Call_Me_Wawa annonce le lancement du hashtag #SunuDébat :
Si la jeune étudiante est parvenue à échanger avec l’équipe de Macky Sall, ce n’est véritablement qu’à partir du relai de l’initiative par @aliamsi que celle-ci connaît un réel essor, notamment auprès des candidats. Ce dernier invite l’ensemble des candidats à se prononcer sur l’initiative :
Et cette démarche s’est avérée fructueuse : le premier candidat à signifier sa volonté de participer à un tel débat est Madické Niang, en réponse directe, puis viennent les réponses d’Ousmane Sonko, de Khalifa Sall (dont la candidature a depuis été écartée par le Conseil Constitutionnel), et d’Issa Sall.
Cette cartographie des 1 165 comptes les plus actifs sur Twitter avec les expressions #SunuDébat et #Sunu2019 retrace très bien l’historique de ce phénomène, et la manière dont le hashtag #SunuDébat a circulé sur les réseaux. On constate nettement l’influence du compte @Call_Me_Wawa qui fédère une large audience autour du hashtag qu’elle a lancé le 8 janvier. Du fait d’un rythme de publication soutenu (103 tweets uniques publiés avec ce hashtag depuis ce compte), pour commenter et soutenir la dynamique du hashtag, ce compte fédère une large communauté (ici représentée en jaune). Néanmoins, c’est le soutien de Papa Ismaïla Dieng (@aliamsi) qui relaie le hashtag le 9 janvier dans un tweet qui sera le plus partagé sur la période (362 retweets) qui permet d’augmenter la visibilité et l’écho de cette démarche. Le bloggeur aux plus de 23 000 followers mentionne les principaux candidats dans son message, qui gagnent de facto en visibilité à mesure que le message est relayé. @Aliamsi, de par sa visibilité et sa légitimité sur le web mais également en dehors (le journaliste est notamment membre des Africtivistes dont nous parlions dans un précédent billet), bénéficie d’une telle capacité de résonance, et donc de potentielles de connexions, qu’il génère une communauté à part, verte sur notre carte.
Entre ces deux communautés, plusieurs comptes relayent le hashtag afin de défendre le projet. On y retrouve notamment le compte @LoMaCire qui publie près de 34 tweets uniques avec le hashtag dont un thread passionné. La disparité des interactions suscitées par ce compte (lien rouge) à plus de 25 000 abonnés, montre son utilité pour exporter le débat hors des deux communautés déjà étudiées et traditionnellement investies sur les sujets politiques.
Remarquons enfin trois autres comptes d’importance, tant par leurs publications que par leurs mentions visibles sur cette cartographie : @djigane et @adbourami, comptes influents de la communauté jaune, et @KaneBousso pour la communauté verte. Il s’agit de comptes relais avec une forte capacité de soutien dans la circulation des messages. Mais la visibilité de ces comptes s’explique également par le rôle que tiendraient leurs propriétaires dans l’organisation du #SunuDébat, à moins que ça ne soit l’inverse comme nous le verrons plus tard.
Des médias impliqués
Dans un premier temps restreint aux réseaux sociaux, le hashtag #SunuDébat est rapidement repéré par les médias. Prompts à relayer les initiatives et débats nés sur les réseaux sociaux, les médias nationaux sont les premiers à couvrir (MétroDakar publie un article le jour-même, suivi par DakarActu, PressAfrik, SeneNews, …) ; les médias internationaux ne tardent pas à leur emboîter le pas (Africa Post News, RFI, Jeune Afrique qui publie également une tribune de @Call_Me_Wawa).
Presse papier (citons notamment L’Observateur, quotidien le plus lu au Sénégal), radio et télévision ne sont pas en reste, ce que ne manque pas de relever l’initiatrice du hashtag dans une volonté d’amplifier la visibilité des différentes retombées presse générées par son initiative et d’asseoir la légitimité de celle-ci aux yeux du monde journalistique :
Au-delà d’un relai de l’initiative, certains médias se sont prononcés en faveur de la tenue d’un tel débat présidentiel. Le site d’information Dakarflash appelle ainsi la profession à soutenir l’initiative :
Quant à elle, la chaîne privée 2STV va jusqu’à proposer d’héberger le débat sur ses ondes.
Des citoyens mobilisés ?
Heureuse bénéficiaire de cet intérêt en ligne, la pétition lancée il y a quatre mois par la “plateforme de démocratie participative” sénégalaise Sunu Vote connaît un regain de popularité sur la période étudiée : 280 tweets partagent le lien vers cette pétition qui n’a cependant toujours pas encore dépassé le palier symbolique des 10 000 signatures : 7 887 signatures sont relevées au moment où nous écrivons ce texte (alors même que nous avons relevé plus de 16 000 tweets sur une semaine).
Sunu Vote se félicite d’ailleurs de la popularité du sujet grâce au hashtag dans un billet publié sur Change.org. Les auteurs félicitent l’initiatrice du hashtag et déclarent être les “partenaire[s]” de cette initiative. Si cette tournure pourrait laisser penser que l’émergence de ce hashtag soit le fait d’une opération de communication militante plus organisée qu’il n’y paraît, aucun autre élément ne nous permet d’argumenter en ce sens : gageons plutôt qu’il s’agisse là d’une déclaration de solidarité des organisateurs de la pétition vers l’internaute Call Me Wawa, et d’une volonté de se rapprocher de l’instigatrice du hashtag sur la base d’aspirations démocratiques communes.
D’après BuzzSumo, la page de la pétition a généré 934 engagements sur Facebook, un chiffre qui comprend pêle-mêle les réactions, les commentaires et les partages sur le réseau social. Une recherche avancée sur Facebook nous renvoie vers quelques posts Facebook de Sunu Vote, assez faiblement engagés, ce qui permet de présumer que l’essentiel des partages de cette pétition a lieu sur des groupes ou sur les profils des internautes.
Permettons-nous néanmoins de relever que 934 engagements sur Facebook, et à peine 8 000 signatures sur quatre mois, sont des volumes assez faibles qui pourraient bien relativiser l’enthousiasme autour du hashtag, et plus globalement de la mobilisation. Nous n’avons cependant pas accès à des données plus précises sur le volume de signatures au fil du temps, et s’il est permis de penser que le hashtag a eu un effet bénéfique sur cette pétition, nous ne pouvons pas le quantifier, mais simplement l’observer via des retombées indirectes.
En effet, la page Facebook de Sunu Vote annonçait le 12 et le 13 janvier que les chiffres respectifs de 4 000 et 5 000 signatures avaient été atteints, soit 4 jours après que le hashtag #SunuDébat fut lancé, ce qui atteste d’un certain dynamisme qu’il n’est pas interdit de corréler à l’agitation générée par le hashtag dans certaines twittosphères sénégalaises.
Vers la mise en place du débat ?
L’organisation du débat n’a pas attendu d’être avalisée par les autorités pour que les porteurs de l’initiative travaillent sur son ébauche. En effet, Awa Mbengue a publié le 15 janvier sur son compte @Call_Me_Wawa un thread récapitulant les principaux événements générés par le hashtag. Plus intéressant encore, ce thread présente également “la liste des principales personnes s’activant sur la toile et en dehors, pour la concrétisation de #SunuDebat”, en trois tweets. Chacun y a un ou plusieurs rôles, parfois partagés, dont la terminologie évoque le monde de l’entreprise.
On y retrouve les 6 principaux comptes que nous avions identifiés dans notre cartographie : @Call_Me_Wawa, évidemment, mais également @aliamsi, @LoMaCire, @abdourami, @djigane et @KaneBousso. Il est notable que si ces comptes étaient les plus visibles de notre cartographie, cette visibilité donne naissance à des responsabilités : ici, c’est bien leur activité en ligne, qui est mise en avant pour justifier les rôles de ces personnalités. Très intéressant exercice démocratique où popularité et responsabilités semblent aller de pair et qui nous invite à méditer sur le rôle joué par des comptes influents dans la logistique nécessaire pour transformer ce que d’aucuns appellent un buzz en événement hors-ligne, et plus globalement sur le pouvoir que peut conférer une audience.
Il ne s’agit cependant pas de quitter complètement le numérique, comme en témoigne la démarche d’@abdourami qui compte encore sur Twitter pour récolter questions et réactions des citoyens connectés :
Le hashtag semble quant à lui avoir pris son envol : il est désormais utilisé comme caisse de résonance dans l’écosystème sénégalais sur Twitter, à la fois par des candidats pour traiter de la campagne que par des acteurs nationaux sur des sujets complètement différents :
Candidats, médias, citoyens, tous sont à leur niveau touchés et plus ou moins mobilisés pour l’organisation d’un débat qui verrait s’affronter les différentes parties prenantes de l’élection présidentielle. Si tous les ingrédients semblent réunis, il reste à voir si Macky Sall se montrera sensible à l’initiative et saisira la balle au rebond pour instituer une innovation dans la démocratie sénégalaise : défendre son bilan et glaner quelques points de popularité.
Cependant, il semble plus crédible que le Président sénégalais s’abstienne de répondre à cette invitation : Twitter est un écosystème militant, dans lequel les opposants sont très actifs. Le Sénégal ne fait pas exception, en témoigne la présence centrale (et ainsi son influence dans les échanges) dans la cartographie de @LoMaCire, alias Kébétueuse, qui ne se cache pas d’être farouchement opposée à Macky Sall (elle affiche le hashtag #AntiMacky dans sa biographie). Dès lors, consentir à prendre part à un tel débat pourrait être vu comme une exposition inopportune. Macky Sall semble en position de force, sans Khalifa Sall ou Karim Wade en face de lui, tous deux inéligibles.
S’il apparaît que la participation de Macky Sall montrerait une certaine innovation dans la démocratie sénégalaise (choix stratégique, signe d’ouverture), le gain qu’en récolterait le Président sortant paraît minime au regard de son exposition et de sa place de favori — et la réponse de son ministre de la communication @elhadjkasse semble confirmer cette tendance, quoi qu’il ne ferme pas complètement la porte.
Mais le choix de sortir du rôle de Président pour enfiler le costume de candidat est souvent difficile à prendre, tout comme la défense d’un bilan semble plus complexe que d’en souligner les limites. La mobilisation en ligne et la reprise dans les médias ne sont pas encore suffisamment fortes pour forcer le Président à s’emparer de cette question : pour l’instant, tant qu’un “seuil critique” ne sera pas atteint, Macky Sall ne prendra peut-être pas ce risque…
Le storytelling sur l’Afrique, dans les médias, à l’occasion de prises de parole publiques, ou dans tout autre contexte, doit changer ; il doit être davantage inspirant. Tel fut l’un axes de discussions entre spécialistes de la communication pendant l’exceptionnelle semaine d’événements initiés dans plus d’une vingtaine de pays à l’occasion de l’édition 2018 d’Africa Communications Week (AfricaCommsWeek).
La thématique centrale définie portait sur les opportunités pour la communication dans le cadre de l’intégration économique africaine. Sur les réseaux sociaux, elle a été résumée par le hashtag #TheAfricaWeWant mentionné des milliers de fois. Selon un décompte effectué par Afriques Connectées via Visibrain, 7 277 tweets ont été émis en rapport avec l’édition 2018 de la campagne (décompte arrêté au 26 Mai) avec plus de 83 millions d’impressions générées.